31 Mar 2025
L'idée de Constitution - Édito par Wanda Mastor
Jamais les constitutionnalistes n'ont été autant sollicités par les médias. À un tel point que cette évolution a fini par devenir un sujet pour ces mêmes journalistes, mi-ingrats mi-lucides sur notre capacité à - trop - vulgariser. « Le nouveau droit de cité des constitutionnalistes », pour reprendre le titre d'un grand quotidien, est-il un mal, et si oui, de quel mal s'agit-il ? La réponse m'indiffère autant que la question. Un constitutionnaliste est avant tout un citoyen qui se doit de participer à la vie de la Cité en tant que femme ou homme, chaque jour, comme en tant que sachant. Le savoir étant, au passage, peut-être plus opportun et pertinent que le terme d'« expertise » qui a la faveur des médias. Alors, oui, on peut regretter que les « experts » fleurissent autant que les glycines en ce début de printemps comme on peut se féliciter que le public, à la faveur de spectaculaires décisions de l'Exécutif, commence à s'approprier les « 49-3 », « dissolution », « motion de censure » et autres mots chéris de la plus belle des disciplines. Mais cantonner le droit constitutionnel à l'actualité serait, non une erreur - car elle est indissociable de la théorie - mais regrettable. Car ce faisant, nous passerions à côté de la substance de ce droit, premier et ultime, tout en n'étant pas immuable.
La Constitution, c'est avant tout une idée. Certains auront reconnu la référence à Paul Bastid, dont les travaux ne jouissent pas de la notoriété qu'ils mériteraient. Référence qui peut paraître en contradiction avec la tonalité laudative du présent texte : dès le début de L'idée de Constitution, l'ancien Résistant affirme ne partager ni la « foi généreuse et naïve dans la vertu des textes fondamentaux » des promoteurs du constitutionnalisme moderne, ni la récurrente « confiance en la valeur des constitutions (...) des réformateurs de principe ». Mais la critique de Bastid est à replacer dans plusieurs contextes, et vise surtout l'instabilité institutionnelle. En réalité, il fustige « la fièvre constituante », l'idée d'une certaine constitution qui ne lui sied guère, mais n'incite pas à son renoncement. Car se doter d'une constitution, c'est choisir la liberté. Le « We, the people » qui ouvre la Constitution américaine est tout à la fois l'expression, la modalité et la finalité de la liberté d'un peuple qui choisit une constitution pour naître avec elle, n'être qu'avec elle. Trente-deux ans plus tôt naissait un autre texte fondamental, sur la petite île dont Rousseau disait qu'un jour, elle étonnerait l'Europe. La Constitution de Corse de 1755 n'est pas que matériellement constitutionnelle, elle l'est aussi formellement : sous l'égide de Pasquale Paoli dont nous fêtons en ce début d'avril 2025 le tricentenaire de la naissance, le texte s'ouvre ainsi : « La Diète Générale du peuple de Corse, légitimement maître de lui-même (...) ayant reconquis sa liberté, voulant donner à son gouvernement une forme durable et constante, à travers une constitution propre à assurer le bonheur de la nation (...) ». Pendant que sur l'autre rive sévissaient les inégalités de l'Ancien-Régime, la Corse, au cœur des guerres génoises, se dotait de l'instrument de sa liberté formellement qualifié de « constitution ».
Des siècles plus tard, c'est l'opposition Biélorusse qui, en exil en Lituanie, réfléchit à la rédaction de sa future constitution, avant même que le pouvoir ne soit reconquis. C'est à travers l'idée de constitution qu'elle se projette dans un avenir libre ; c'est l'idée de constitution qui précède les actions politiques. Des premiers mots du préambule jusqu'au dernier article sur les modalités de sa propre révision, c'est le projet de constitution qui permet l'espoir d'une liberté recouvrée. Au sens figuré comme au sens premier, le pouvoir constituant pouvant aussi, au XXIe siècle, se « penser » depuis les geôles. C'est cela, une constitution, au-delà des aspects techniques qui font la gloire des apôtres de la discipline sur les plateaux télé : une certaine idée de la liberté.