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À qui la faute ? - Édito par Christophe Jamin

By: Christophe Jamin

Depuis plusieurs jours, ce que beaucoup nomment « l'affaire Philippine », du nom de sa victime, occupe le devant de la scène médiatique et politique. Le viol suivi de la mort de cette jeune femme a saisi d'effroi notre pays. Elle a aussi engendré de fortes critiques vis-à-vis de l'institution judiciaire. Comme à l'habitude, certains ont déjà suggéré une énième réforme législative du Code des étrangers.

Pour s'assurer de la pertinence d'une telle proposition, il faut prendre la mesure des éventuels dysfonctionnements qui auraient abouti à ce drame. En l'occurrence, une personne de nationalité marocaine condamnée pour viol fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français à l'issue de l'exécution de sa peine. Le préfet prononce son placement en rétention pour une durée de 48 heures avant que le relais soit pris par l'autorité judiciaire en application des articles L. 742-1 et suivants du Code des étrangers. Un premier juge prononce le maintien en rétention pour 28 jours supplémentaires, le deuxième pour 30, et le troisième pour 15. Reste à se prononcer sur un dernier maintien de 15 jours, la loi prévoyant que la rétention ne peut excéder 90 jours au total.

Selon le dernier alinéa de l'article L. 742-5, cette ultime prolongation ne peut être qu'exceptionnelle. Selon son alinéa 7, elle peut entre autres être justifiée en cas de menace pour l'ordre public.

Le dernier juge saisi prend acte du fait que les autorités marocaines, saisies par l'administration d'une demande de laisser-passer, n'y ont jamais donné suite. Il en déduit que celle-ci n'établit pas que la délivrance d'un laisser-passer interviendra à bref délai, ce qui lui aurait permis d'autoriser un maintien en rétention. Il ajoute qu'au vu de la situation de la personne et de sa condamnation pénale, un risque de réitération de faits délictueux et donc une menace à l'ordre public n'est pas exclue, mais il ajoute qu'elle n'est pas survenue dans les 15 jours qui précèdent, alors qu'il s'agit d'une condition mise par le texte pour prolonger une quatrième fois la rétention. En conséquence, il ordonne la remise en liberté de la personne.

Le juge pouvait-il prévoir que le laisser-passer serait délivré à bref délai ? On peut fortement en douter au regard du comportement des autorités marocaines ; au surplus l'administration n'en rapportait pas la preuve. Devait-il constater que la menace à l'ordre public devait survenir dans les 15 derniers jours ? On peut le penser au regard des deux derniers alinéas du texte qui laissent entendre que cette menace doit survenir « au cours de la prolongation exceptionnelle ordonnée » une première fois pour 15 jours.

Ce n'est donc pas l'institution judiciaire qui doit être critiquée au premier chef, mais le législateur qui a ajouté une condition restrictive aux effets dramatiques s'agissant d'une personne dont le juge ne pouvait que constater qu'elle était susceptible de récidiver dans la commission de faits délictueux.

Ce constat aurait certes pu inciter le juge à s'affranchir de la lettre du texte. Il n'en demeure pas moins que c'est au législateur qu'il incombe de revoir sa copie en modifiant les deux derniers alinéas de l'article L. 742-5 du Code des étrangers. Il pourrait aussi en profiter pour se demander s'il est bien raisonnable de faire intervenir à quatre reprises un juge sur le fondement de critères différents, mais certainement pas pour augmenter le délai ultime de 90 jours. Il existera en effet toujours des récidivistes du 91e jour. Hélas !


Edito à retrouver dans la Semaine Juridique Edition Générale #40


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