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Un sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle : pour quoi faire ?

By: Valérie-Laure Benabou

Le Grand Palais doit accueillir cette semaine les discussions relatives à l'intelligence artificielle et servir ainsi à affirmer la place de la France, qui co-préside le sommet avec l'Inde, comme un acteur de premier plan dans ce domaine. Il s'agira aussi, selon le site de l'Elysée, de répondre aux questions suivantes : « Comment développer massivement les technologies et les usages de l'IA dans l'ensemble des pays du monde ? Comment réussir le virage de l'IA en ne laissant personne de côté et en préservant nos libertés ? Comment faire en sorte que les usages de l'IA correspondent à nos valeurs humanistes et que cette technologie puisse être mise au service du collectif et de l'intérêt général ? ».

Bien que la question de la garantie de conformité des usages de l'IA aux valeurs humanistes et aux libertés paraisse légitime, celle du « comment » y parvenir repose toutefois sur l'hypothèse peu engageante d'un risque d'échec. Rien d'alarmant pour qui semble postuler que la technique est potentiellement bénéfique et moralement neutre : il conviendrait « seulement » de s'assurer que son usage ne contrarie pas le modèle de société humano-centré que l'on souhaite préserver ; « d'élaborer un cadre de confiance partagé pour ne retirer que les opportunités des nouvelles technologies ». Mais c'est adopter là une vision bien naïve de ce qu'est la technique, dont on pourrait garder le bon sans prendre le mauvais.

Sans parler du recours illusoire à l'éthique comme rempart aux éventuelles dérives, le développement fulgurant de l'IA n'est pas de ceux que l'on retient à coup de normes juridiques nationales ou régionales. Le contexte du sommet vient cruellement rappeler une forme d'impuissance des pouvoirs publics comme de certains secteurs - la culture pour n'en citer qu'un - à s'opposer à la loi du plus fort. La résistance des géants de la tech américaine - peu seront d'ailleurs présents à Paris - s'organise contre les tentatives de régulation européenne. Par ailleurs, la volatilité vertigineuse des marchés témoigne de l'instabilité des acteurs : une annonce du chinois DeepSeek et 90 milliards de dollars de capitalisation boursière de Nvidia s'envolent en fumée !

Le pilotage de l'innovation demeure une douce chimère s'il n'ambitionne que de corriger les excès de la technique, sans inscrire son développement dans un projet de société plus vaste. Or, nous dit-on, il s'agit d'abord de « développer massivement » les technologies et de les distribuer au plus grand nombre. À nul moment ne point la question première du bien-fondé de cette proposition, à l'heure pourtant où la rareté des ressources et de l'énergie rend ce sujet crucial : faudra-t-il demain renoncer à se chauffer pour continuer à prompter des images de souris sur ChatGPT ?

L'absence de perspective critique s'illustre enfin dans l'ambition affichée qui est de « permettre à l'IA de réaliser sa promesse initiale de progrès et d'émancipation ». L'optimisme béat de la formule inquiète ; elle montre également, par la délégation qu'elle opère à une IA personnifiée, que s'est sans doute déjà réalisé l'avènement du système technicien autonome qu'annonçait, en le redoutant, Jacques Ellul. Puisqu'il s'agit pour l'IA d'accomplir sa promesse « le moyen se justifie par lui-même ». L'humanité devient alors périphérique. À chaque sommet on est toujours au bord d'un précipice (Stanislaw Jerzy Lec).


Edito à retrouver dans la Semaine Juridique Edition Générale #6


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