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« J’avais le sentiment de ne pas en avoir fini avec la pénitentiaire. » Tels sont les mots par lesquels Simone Veil, dans ses mémoires, conclut le récit des sept ans qu’elle a passés à la direction de l’administration pénitentiaire de 1957 à 1964.
Dans ses fonctions, chargée du suivi des conditions de détention, elle consacre une grande partie de son temps à des tournées d’inspection dans les prisons et se passionne pour ces visites au point qu’elle profite même de ses vacances en famille pour en effectuer. À la demande du garde des Sceaux, Edmond Michelet, elle part seule pour l’Algérie, alors française, et, bien qu’accueillie « dans un climat de franche hostilité », elle parvient à obtenir le transfert en métropole des prisonniers algériens exposés à des risques de torture de la part des forces de l’ordre pour qu’ils « purgent leur peine dans des conditions plus normales ». Parmi eux, elle s’intéresse particulièrement au sort des femmes dont elle obtient le regroupement afin qu’elles puissent suivre des études. Indépendamment du suivi des conditions de détention, elle a mission de présenter, chaque semaine, les dossiers de libération conditionnelle au comité interministériel chargé de statuer sur les demandes présentées.
Comme elle l’a dit à plusieurs reprises, l’expérience de la déportation a rendu Simone Veil particulièrement sensible à la question carcérale et à ce qui, dans les rapports humains, engendre l’humiliation. En arrivant à l’administration pénitentiaire, elle découvre « une réalité désespérante, [qu’elle n’aurait] jamais pu imaginer », qui lui donne « parfois le sentiment de plonger dans le Moyen Âge » et qui heurte profondément sa « sensibilité extrême à tout ce qui, dans les rapports humains, génère humiliation et abaissement de l’autre ». Même si elle déplore que « l’État ne se donne pas les moyens d’améliorer le régime carcéral », aux côtés d’un sous-directeur dont elle partage la conception d’une prison qui doit « servir à élever intellectuellement les détenus, et pas seulement à les punir », elle œuvre à de nombreuses améliorations des conditions de vie en prison : le passage de camions radio pour dépister la tuberculose, la création de centres médico-psychologiques, l’installation de bibliothèques, de structures scolaires pour les mineurs. Elle se soucie tout particulièrement du sort des femmes, bien moins nombreuses que les hommes, mais davantage soumises à des brimades et à des humiliations.
Dans ce récit d’une vie professionnelle intense à laquelle elle consacre une passion qui n’est manifestement pas sans lien avec ce qu’elle avait elle-même subi en déportation dominent deux sentiments : l’indignation qu’elle éprouvait au début des années soixante devant la situation qu’elle découvrait, l’absence des moyens ou de la volonté nécessaires pour l’améliorer et la crainte qu’elle ressentait, plus de quarante ans après, en 2007, que les choses n’aient pas vraiment évolué.
Aujourd’***, précisément depuis 2007, c’est une autorité administrative indépendante, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), qui, inlassablement, visite les prisons pour « contrôler les conditions de prise en charge et de transfèrement des personnes privées de liberté, afin de s’assurer du respect de leurs droits fondamentaux »[1]. Bien sûr, ses constats ne sont pas en tout point semblables à ceux que faisait Simone Veil, mais si les conditions juridiques et matérielles de la détention ont évolué, les difficultés principales n’ont guère changé : des moyens suffisants pour créer des conditions de détention décentes, une réelle fonction de réinsertion qui fait défaut, une réalité carcérale qui se heurte à une profonde incompréhension de l’opinion publique.
Pour nous les femmes, Simone Veil nous dit une chose très simple et pourtant bien difficile à accomplir. Nous n’avons pas besoin d’avoir du pouvoir, de l’argent, de l’audience pour porter haut et fier les couleurs de notre vérité. C’est exactement le contraire qui doit guider notre existence. Et c’est parce que nous aurons le courage de nous lever, sans s’arrêter devant les obstacles, de dire notre voix, d’affirmer nos indignations, de retrousser nos manches pour agir et changer le cours jamais figé des choses, sans savoir si c’est possible ou impossible, que viendra le pouvoir de changer le monde.
Et ce message, Simone Veil, sans le dire, mais en le faisant, l’a témoigné à la face du monde qu’elle regardait avec ses yeux clairs, à la fois limpides et insondables, intimidants de densité et d’humanité.
Simone, chacune peut entrer en résonance avec elle. Simone pourrait être chacune d’entre nous. Elle nous montre une voie que rien ne nous interdit de poursuivre. Il n’y a pas d’excuse. Fille, épouse, mère, elle a tracé son chemin professionnel en ne transigeant sur rien, et surtout pas sur ce qui l’animait. La foi en la justice, l’amour de la liberté et la quête de la paix. Dans la simplicité quotidienne de sa vie, elle a épousé le monde et les causes qui en déterminaient l’histoire. Elle n’a rien lâché, jamais. Elle nous impose la grande simplicité, elle nous commande de rester dignes et droits, elle nous refuse la complaisance, l’apitoiement sur nous-mêmes, l’acceptation du rôle de victime. Simone nous élève car elle nous pousse à être pleinement actrices et à clamer sans peur à la face du monde à la fois notre indignation et notre espérance.
Ces moments inscrits dans la mémoire de la jeune fille ne s’effaceront jamais et, comme ces souvenirs, le tatouage la reliera à jamais à cette multitude de morts, à ces êtres chers disparus. Le père et le frère, dont elle n’apprendra que tardivement le parcours dans les pays baltes et dont elle ne saura jamais le lieu et la date de leur mort. Leur mère vaincue par le typhus à quelques semaines de la libération du camp. C’est en leur nom aussi qu’il faut survivre et c’est au nom de leur amour qu’il ne faut pas sombrer. La dignité, c’est accepter la mémoire dans sa totalité, celle des moments de bonheur et de frivolité d’avant et celle de l’horreur des enfants, des femmes, des vieillards battus et humiliés. Nostalgie douce et devoir de mémoire de l’innommable, tout est assumé. De l’allégresse du bonheur insouciant au tragique du malheur.
Si un jour, plus tard, par instants, la joie d’antan revient dans le cœur, il suffira que le regard se pose, ne serait-ce qu’un instant sur sa peau pour que la trace bleutée du tatouage vienne à nouveau assombrir la lumière de l’éphémère oubli. La dignité se cache souvent sous le masque de la gravité. Ce souvenir de l’innocence n’apparaîtra que par instants, et le plus souvent dans le cercle familial et amical, pour le reste le visage restera marqué de cette dureté, de cette gravité qui jamais ne la quitteront.
Comment sortir dignement de cette négation de sa propre dignité ? Faut-il cacher le tatouage ou bien le montrer ? Faut-il porter des manches longues pour éviter aux imbéciles de poser des questions désobligeantes ? Comme ce fut le cas dans une réception où un convive crut stupidement qu’il s’agissait d’un numéro de vestiaire. Faut-il parler de la Shoah ou bien se taire ? Comment trouver des noms pour l’innommable ? Comment partager ces souvenirs avec ceux qui n’ont pas vécu cette expérience tragique ? Sa sœur, rescapée des camps, meurt dans un accident. Avec qui partager le souvenir de l’incroyable épreuve ?
La dignité, c’est aussi la pudeur. Simone Veil ne s’exprimera que tardivement et avec profondeur sur la tragédie dont elle a été victime. Elle le fera sans haine car la dignité c’est éteindre la haine sans accepter l’oubli, c’est préférer se souvenir de la dignité des justes que de la cruauté des bourreaux. Ainsi, Simone Veil rappelait aussi que la France a été un des pays qui a le mieux protégé les juifs, permettant à la plupart d’entre eux d’échapper aux poursuites. Elle évoquait aussi ces milliers de héros anonymes et discrets qui ont partagé le pain, caché ou protégé l’inconnu. Ils ne réclameront ni l’honneur ni la gloire pour leur acte de courage, car au fond d’eux-mêmes ils ont seulement la conviction d’avoir accompli leur métier d’homme.
L’attitude digne et constante de Simone Veil, c’est d’avoir su trouver au fond de cette blessure des raisons de se battre, de construire et d’espérer en l’homme pour que la France puisse trouver « son unité et son harmonie ».
AUTEUR(S) : Ouvrage collectif
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