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3 QUESTIONS - Une approche singulière de la résolution des litiges, vecteur de transformation de l'entreprise

By: Maître Daphné Bès de Berc

PROCÉDURE CIVILE  

Dans un monde qui va de plus en plus vite et dans lequel les entreprises sont constamment confrontées à de nouveaux défis (techniques, humains, réglementaires, environnementaux), le temps, le coût et l'aléa judiciaires, en ce qu'ils pèsent sur le budget, le développement, les perspectives et parfois la réputation de l'entreprise, ainsi que sur la charge mentale déjà lourde du dirigeant, sont vécus de plus en plus douloureusement. 

On entend beaucoup parler des modes alternatifs de règlement des différends, au titre desquels un décret (n° 2024-673) du 3 juillet 2024, entré en vigueur le 1er septembre et applicable aux instances en cours à cette date, vient d'étendre aux litiges relevant des juridictions commerciales l'audience de règlement amiable instaurée devant les juridictions civiles un an auparavant, par le décret n° 2023-686 du 29 juillet 2023. Et ce, dans le cadre d'un « plan d'action pour la justice » défini en 2023, dont le Garde des Sceaux signale que « la politique publique de l'amiable est une composante essentielle », en vue de laquelle « tous les leviers sont mobilisés » (Circ. 17 oct. 2023, CIV/06/23, JUSC2324682C : BOMJ 17 oct. 2023).  

Pourquoi les modes alternatifs de règlement des litiges (MARDs) sont-ils effectivement une solution à explorer, et, au-delà, en quoi une approche singulière - c'est-à-dire sur-mesure et propre à chaque cas - de la résolution des litiges permet-elle de transformer profondément à la fois l'entreprise et, par ricochet, son écosystème ? 

1 - En quoi les MARDs présentent-ils un intérêt ?  

La vie des entreprises est parsemée de défis, parmi lesquels la gestion des désaccords affectant leurs relations avec leurs partenaires : clients, prestataires, sous-traitants, distributeurs, financeurs et même parfois actionnaires. 

Ces situations sont souvent vécues péniblement, plus encore lorsqu'elles donnent lieu à l'engagement d'une action judiciaire, qui, si elle n'entrave pas systématiquement, à proprement parler, l'activité ou le développement de l'entreprise, l'affecte toujours. D'abord parce qu'elle est source de stress, consommatrice de temps et d'énergie, et coûteuse : quand bien même l'accès à la justice est gratuit en France, l'intervention d'un avocat, d'un huissier, d'un expert, parfois d'un traducteur, ne l'est pas. Ensuite, parce qu'elle est longue et son issue, toujours incertaine : on peut ne pas l'emporter bien que l'analyse factuelle et juridique de la situation semble nous donner raison ; on peut devoir renoncer à obtenir l'exécution d'un contrat même si on y a consacré des mois voire des années et qu'on a soi-même respecté ses engagements ; on peut ne pas parvenir à être payé alors qu'on a accompli sa part. Parfois on l'emporte après des années de combat judiciaire, mais cette victoire ne sert concrètement à rien parce que l'entreprise poursuivie a entretemps déposé son bilan rendant impossible en pratique l'exécution du jugement, ou parce qu'elle est en réalité incapable techniquement d'exécuter la mission qu'elle est invitée à poursuivre, ou encore parce que la machine ou la prestation qu'elle est condamnée à livrer est devenue obsolète etc. 

Résoudre un litige ne consiste pas à s'entendre dire qu'on a raison. C'est peut-être le cas dans les conflits entre particuliers, notamment familiaux, mais ce n'est jamais le cas dans les litiges entre entreprises où la résolution du contentieux ne peut passer que par une solution concrète à la difficulté rencontrée. 

Or, les dirigeants sont les mieux placés pour définir cette solution et le faire en considération de ce qu'ils entendent préserver, de ce à quoi ils sont prêts à renoncer et du prix qu'ils pourraient consentir à payer pour permettre le dénouement de la difficulté. 

En mode projet, plutôt que défensif ou accusatoire. 

2 - Dans quelle mesure les MARDs permettent-ils d'aboutir, par une démarche constructive, à une solution concrète et équilibrée aux litiges ?  

Cette notion vise l'ensemble des modes amiables (négociation directe, procédure participative, conciliation, médiation) ou alternatifs au judiciaire (arbitrage) de traitement des litiges. 

À l'exclusion de l'arbitrage, qui n'est pas un mode amiable puisqu'il s'en remet à un tiers-juge (l'arbitre) auquel il est demandé de trancher le litige c'est-à-dire d'y apporter SA solution - quand bien même il le fait en dehors de l'arcane judiciaire et selon les règles définies par les parties -, tous les autres modes sont amiables, qu'ils fassent intervenir un tiers (médiation ou conciliation) ou non (négociation directe ou procédure participative). 

Ils permettent donc, chacun, de parvenir à une sortie négociée du contentieux, par l'application d'une solution choisie plutôt qu'imposée. 

Toutefois, l'aboutissement d'une telle démarche suppose qu'ait été opérée en amont une analyse précise et rigoureuse de la situation litigieuse, qu'aient été identifiés les besoins de chaque protagoniste, qu'aient été définis un objectif à atteindre et une stratégie à suivre pour y parvenir, comportant une solution alternative en cas d'échec des discussions, et que celles-ci soient menées avec autant de fermeté que de souplesse, en faisant preuve d'une réelle capacité d'adaptation et de résilience (entendue comme l'aptitude à se rétablir après une perturbation extérieure). 

C'est ce que j'appellerais le règlement non pas « alternatif », mais « singulier » des litiges. Singulier parce que sur-mesure, adapté, au cas par cas, et pas à pas, à chaque situation. 

3 - En quoi avoir recours à un règlement singulier des litiges s'intègre-t-il finalement dans la dimension RSE des entreprises ?  

Sortir au plus vite et dans les meilleures conditions de l'ornière conflictuelle, sans mobiliser des années de combat judiciaire et en préservant lorsque c'est souhaitable, et ça l'est la plupart du temps, la relation partenariale source du conflit répond totalement à la responsabilité sociétale des entreprises, entendue comme une contribution aux enjeux notamment économiques du développement durable. 

La loyauté des pratiques et comportements, l'assainissement des relations partenariales, de même que l'allègement corrélatif de la charge des juridictions étatiques, participent en ce sens de l'esprit de la RSE. 

Ajoutons qu'en transformant leur gestion des litiges, les dirigeants s'éduquent et éduquent leurs équipes à un mode relationnel plus sain, dans lequel on choisit son partenaire, on instaure avec lui une relation de confiance, on avance ensemble dans le déploiement d'un projet que l'on conduit et mène à son terme, non pas l'un contre l'autre, mais l'un avec l'autre. 

Et cette transformation-là est de nature à affecter profondément non seulement l'entreprise elle-même, mais également, par ricochet ou rayonnement, l'ensemble de son environnement économique. 


Veille à retrouver dans la Semaine Juridique Entreprise et Affaires #43-44


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