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Les États-Unis ont été, et demeurent, l'une des plus grandes démocraties au monde. « We, the People », qui ouvre la Constitution n'est pas qu'une formule cosmétique ornant un parchemin. C'est tout à la fois la source, la légitimité, la clef du fonctionnement et l'objectif ultime de ce texte vieux de plus de deux siècles. Au lendemain de sinistres décisions de la Cour suprême, et à la veille d'élections présidentielles à l'enjeu capital, il faut se souvenir de ce frontispice constitutionnel.
Nourris des lectures des penseurs dissidents de l'Angleterre du XVIIe siècle, tels que Trenchard, Gordon, Milton et Locke, les Founding Fathers ont admiré le contrat social proposé par le dernier comme ils ont mythifié la glorieuse révolution de 1688. De cet ensemble d'influences littéraires et politiques ressortent un goût immodéré pour la liberté et une exaltation démocratique. Le peuple, seul souverain, est libre de former un pacte avec l'État comme il est libre de le dénoncer. À l'image du renversement du roi Jacques II au profit de sa fille Mary et de son gendre William, les révolutionnaires américains croient au droit de résistance à l'oppression. Ils en sont d'ailleurs nés.
Parmi les traits saillants de la Constitution adoptée à Philadelphie en 1787, deux éléments se transformeront en véritables dogmes : le fédéralisme d'une part, et la séparation des pouvoirs d'autre part. Le premier n'est pas figé, comme la seconde n'est en rien « rigide », contrairement à une affirmation doctrinale française trop répandue.
Surtout, plusieurs événements ont affecté les équilibres constitutionnels initiaux, qu'il s'agisse de la répartition des compétences entre l'État fédéral et les États fédérés ou celle entre les trois pouvoirs. Parmi lesdits événements figure l'hypertrophie du pouvoir judiciaire, non prévue initialement par les Pères fondateurs. Pas plus qu'un autre texte, la Constitution américaine « n'est » ou « n'est pas » : elle est ce qu'en disent ses interprètes et les questions du fédéralisme et de la séparation des pouvoirs ont substantiellement évolué au gré des décisions de la Cour suprême - surtout, de la couleur idéologique de ses membres -.
Dogme du fédéralisme, tout d'abord. La compétence d'attribution du Congrès fédéral est enfermée dans une liste de pouvoirs énumérés (art. 1, sect. 8). Mais le corset dessiné par le texte fondateur n'allait pas tarder à craquer sous l'effet de la pratique, des nécessités du moment, conduisant la Cour suprême à faire preuve de « réalisme » en dégageant des pouvoirs « impliqués ». La balance ne cessera dès lors de pencher en faveur de l'État fédéral ou des États fédérés. Le fédéralisme américain est un fédéralisme vivant, et l'arrêt Dobbs sur l'avortement de 2022 en est encore une illustration : La Cour juge, en substance, que l'avortement ne peut être un droit consacré au niveau fédéral et que désormais, il appartiendra aux États fédérés d'en réglementer le principe et les conditions. Le « We, the people » apparaît encore comme la légitimation suprême d'une solution qui a révolté au-delà des frontières du pays : « La Constitution ne confère pas de droit à l'avortement ; (...) le pouvoir de réglementer l'avortement est rendu au peuple et à ses représentants élus ».
Dogme de la séparation des pouvoirs, ensuite. La Constitution distribue les fonctions de l'État entre des organes indépendants (la puissance législative entre les mains du Congrès, la puissance exécutrice entre les mains du Président et la puissance de juger entre celles du pouvoir judiciaire fédéral), mais tout en prévoyant un contrôle réciproque, un équilibre exprimé par l'expression des checks and balances. De cette traduction juridique de la théorie de Montesquieu, il ne faut pas déduire une séparation des pouvoirs qui serait « stricte ». C'est bien au contraire l'inévitable interconnexion des pouvoirs entre eux qui caractérise la Constitution américaine, comme le souligne Madison dans la lettre 48 des Federalist Papers : Loin d'être complètement « disconnectés » (wholly unconnected) ou radicalement isolés l'un de l'autre, les pouvoirs doivent être reliés, voire mêlés (blended), de telle sorte que chacun d'entre eux dispose d'un contrôle constitutionnel (constitutional check) sur l'autre.
Malgré des termes très « situés », c'est pourtant cette vieille Constitution qui protège les plus modernes des libertés. Parce que le droit n'est qu'une histoire d'interprétation, la norme d'hier, adoptée au temps des pirateries et des esclaves, peut aujourd'*** s'appliquer à des situations autrefois inimaginables.
Mais « offrir » des libertés ou/les « renier » ne signifie rien. La formule implique une posture idéologique. L'histoire de la Cour suprême est une oscillation entre le self-restraint et l'activisme, un combat entre juges libéraux et juges conservateurs. C'est l'un des aspects les plus passionnants de la jurisprudence de la Cour, faite de ruptures et retours. À partir d'un texte dont les dispositions ne sont pas si larges et génériques que cela, elle a à peu près tout réussi à dire et imposer. Sa puissance paraît intolérable, comme l'hypothèse d'une victoire de Donald Trump insupportable. Mais il faut avoir confiance en le peuple américain qui a souvent rappelé que de tous les pouvoirs, il était le premier : « We, the people » est la phrase d'où le pays est né.
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