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EXTRAIT DE LA SEMAINE JURIDIQUE – NOTARIALE ET IMMOBILIÈRE – N° 46 – 19 NOVEMBRE 2021 L’ordonnance du 15 septembre 2021 supprime les privilèges immobiliers spéciaux et les remplace par des hypothèques...
EXTRAIT DE LA SEMAINE JURIDIQUE – NOTARIALE ET IMMOBILIÈRE – N° 46 – 19 NOVEMBRE 2021
L’ordonnance du 15 septembre 2021 supprime les privilèges immobiliers spéciaux et les remplace par des hypothèques légales spéciales. Les privilèges du vendeur, du prêteur de deniers et du copartageant tirent leur révérence pour laisser place désormais aux hypothèques légales du vendeur, du prêteur de deniers, et du copartageant. Cette importante modification qui entrera en vigueur à compter du 1er janvier 2022 conduit à s’interroger sur les raisons qui ont pu mener à cette métamorphose et sur les conséquences que celle-ci pourra entraîner.
C’est un constat qui est souvent fait que le temps n’a pas la même emprise sur tous. Certains restent fringants et conservent une mine éclatante malgré le poids des années, tandis que d’autres portent sur leurs visages fanés et leurs épaules avachies les outrages que le temps leur a infligés. C’est une impression similaire qui s’offre à nos yeux lorsque l’on parcourt la liste des privilèges immobiliers spéciaux contenue dans l’article 2374 du Code civil.
À côté des illustres privilèges que sont le privilège du vendeur, du prêteur de deniers ou du copartageant, qui ont conservé une insolente modernité malgré la patine du temps, on trouve des privilèges tels que le privilège des architectes et entrepreneurs, ou encore le privilège du prêteur de deniers pour payer les ouvriers, qui font bien pâle figure dans leur état de momification avancé.
L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021(1) met fin à cette triste comparaison en supprimant le privilège des architectes ainsi que le privilège qui bénéficie au prêteur de deniers pour payer les ouvriers.
La pratique notariale approuvera sans réserve la suppression de ces privilèges qu’elle n’avait jamais rencontrés autrement que sous la forme d’ectoplasmes hantant les origines de propriété trentenaires.
Mais l’attention de la pratique sera immédiatement portée sur une autre mesure d’une importance considérable : l’ordonnance du 15 septembre 2021 supprime à compter du 1er janvier 2022 les privilèges immobiliers spéciaux et les remplace par des hypothèques légales spéciales dont la liste figure désormais à l’article 2402 du Code civil.
La grande satisfaction que les notaires et les établissements financiers
retiraient de l’organisation actuelle des privilèges du vendeur, du prêteur de deniers ou du copartageant, à laquelle ils étaient rompus, les mènera, non sans inquiétude, à s’interroger sur les raisons qui ont pu conduire à cette métamorphose et sur les conséquences que celle-ci pourra entraîner.
La transformation des privilèges en hypothèques légales est une idée qui a longuement mûri. Après avoir rappelé la genèse de la réforme, nous essaierons de porter une appréciation sur les raisons qui pouvaient conduire à une telle transformation.
On ne peut pas dire que la disparition des privilèges immobiliers spéciaux soit une surprise : cette idée avait été annoncée à l’occasion de la précédente réforme des sûretés de 2006 mais n’avait pu aboutir en raison de l’imprécision dont souffrait l’habilitation législative. Personne n’était dupe du fait que les privilèges immobiliers spéciaux bénéficiaient d’un sursis et que l’idée consistant à les supprimer serait remise à l’ordre du jour à l’occasion d’une prochaine réforme du droit des sûretés.
Simplification et unification du droit hypothécaire. – L’idée consistant à requalifier les privilèges immobiliers en hypothèques légales germa en 2005, lorsque le groupe de travail formé par l’association Capitant et présidé par le professeur Grimaldi, rendit ses réflexions sur les différentes voies que la modernisation du droit hypothécaire serait susceptible de prendre. Dans le rapport qui fut remis au garde des Sceaux, l’association Capitant fit le constat d’un manque de lisibilité du droit hypothécaire, celui-ci étant en effet éparpillé entre les privilèges généraux, les privilèges spéciaux, les hypothèques légales, judiciaires et conventionnelles.
Après avoir estimé que la rétroactivité des privilèges immobiliers spéciaux était inutile, l’association suggéra de les requalifier en hypothèques légales de manière à unifier le droit hypothécaire. Dans le même temps, le rapport exprimait l’absolue nécessité de conserver l’efficacité des privilèges ainsi que la neutralité fiscale dont ils profitent. En somme, il s’agissait de parvenir à une meilleure lisibilité du droit hypothécaire, en remédiant à l’éclatement notionnel dont celui-ci souffrait, tout en prenant les mesures appropriées pour que cette démarche d’unification ne se fasse pas au détriment des intérêts de la pratique6.
À la suite de ce rapport, la loi du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation de l’économie autorisa e Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance les mesures nécessaires pour réformer le droit des sûretés.
- Défaut d’habilitation. – La réforme des privilèges immobiliers spéciaux ne put cependant aboutir car le Conseil d’État estima que les termes de l’habilitation qui avait été octroyée au Gouvernement ne permettaient pas de modifier les privilèges. Il faut dire que l’article 24 de la loi du 26 juillet 2005, qui constituait le siège de l’habilitation législative, était particulièrement nébuleux puisqu’il se contentait d’autoriser le Gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour « développer le crédit hypothécaire »8. C’est dans ces conditions que l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 réforma le droit des sûretés tout en laissant de côté la matière des privilèges. Ce dénouement inattendu pouvait laisser un goût d’inachevé d’autant plus que plusieurs sources confirmaient déjà à cette époque la suprématie statistique des privilèges immobiliers sur les hypothèques conventionnelles dans les dossiers de crédits immobiliers.
Parachever la réforme de 2006. – À la demande du Gouvernement, qui souhaitait remettre sur le métier l’ouvrage du droit des sûretés, l’association Capitant rendit public un nouveau rapport en septembre 2017 dans lequel fut reprise la proposition consistant à transformer les privilèges en hypothèques10. Si la motivation initiale consistant à parvenir à une plus grande cohérence des sûretés réelles immobilières était réaffirmée, un nouvel argument en faveur de la transformation des privilèges était ajouté : la réforme se devait de mettre fin à l’insécurité juridique dont la rétroactivité des privilèges était porteuse11.
De leur côté, les praticiens n’avaient pas fait montre d’un intérêt particulier sur la question des privilèges immobiliers et avaient révélé au contraire, dans divers rapports rendus publics, qu’ils préféraient se concentrer sur des pistes d’amélioration des sûretés réelles mobilières, notamment sur les sûretés ayant pour objet une somme d’argent12.
En un mot, la suppression des privilèges immobiliers ne semblait pas correspondre à une demande ou à un besoin spécifique de la pratique. Des auteurs firent part de leur scepticisme quant à l’intérêt de réformer la matière des privilèges immobiliers13. La loi Pacte du 22 mai 2019 autorisa le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance les mesures destinées à simplifier le droit des sûretés et fit de la transformation des privilèges immobiliers spéciaux en hypothèques légales spéciales, l’un des thèmes vedettes de la future réforme14.
L’argument tiré de l’insécurité juridique, fondé sur la rétroactivité des privilèges, semble avoir convaincu les pouvoirs publics qui l’ont mis en évidence à plusieurs reprises pour justifier le bienfondé de la réforme15. Cette motivation s’est même retrouvée aux premières loges lorsqu’il s’est agi d’exposer au Président de la République les raisons de la transformation des privilèges16.
Si la rétroactivité a peut-être été accusée à tort, il nous semble que la requalification des privilèges en hypothèques était devenue inévitable tant les différences entre ces deux catégories de sûretés s’étaient estompées avec le temps.
- Le fondement des privilèges.
– La rétroactivité des actes juridiques est fréquemment pointée du doigt en raison de l’insécurité juridique qu’elle recèle17. Si l’on veut en faire un usage rationnel, il faut s’assurer que la rétroactivité se justifie18. À cet égard, la rétroactivité qui accompagnait le privilège du vendeur, du prêteur de deniers ou du copartageant bénéficiait d’une puissante justification. Pour mémoire, ces trois privilèges trouvent leur fondement dans l’idée de plus-value apportée au patrimoine du débiteur : un créancier, grâce à la dette qu’il consent à son débiteur, permet à ce
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