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Ventilation terrain/constructions : à la recherche de la bonne méthode

Pour les entreprises, notamment immobilières, la ventilation du coût d’acquisition d’un immeuble entre terrain et constructions est un enjeu majeur. En effet, il conditionne en grande partie la méthode d’amortissement des actifs immobiliers, le terrain étant par nature non amortissable. C’est donc tout le profil d’imposition de leur actif qui est en question. Si les cas soumis au contentieux étaient peu nombreux, reflétant une relative stabilité des pratiques des entreprises et peu de contestations de l’administration fiscale, deux affaires récemment jugées par le Conseil d’État sur ce thème semblent soulever plus de doutes que de réponses.


L'acquisition d'un ensemble immobilier entraîne une multitude décision de gestion. Parmi celles-ci, l’affectation de la valeur entre le terrain et les constructions est l’une des plus structurantes sur les plans tant comptable que financier et fiscal. En effet, le terrain présente un caractère non amortissable contrairement aux constructions, ce qui a un impact évident sur l’imposition de la société propriétaire de l’immeuble et requiert toute son attention.

Cependant, l’appréhension de l’amortissement ne doit pas être la seule motivation de l’affectation de la valeur à l’un ou l’autre des composants de l’ensemble immobilier. La ventilation doit refléter la réalité économique de l’actif. Un terrain situé dans un milieu urbain dense aura toujours plus de valeur qu’une friche industrielle.Un actif loué aura toujours plus de valeur qu’un actif vacant. L’intensité du débat résulte, notamment, dans cette divergence entre d’une part la compréhension économique que fait l’investisseur d’un ensemble immobilier et d’autre part la réalité physique à proprement parler de l’actif, justifiant sa dépréciation au fil du temps. Par ailleurs, un tel exercice peut vite s’avérer complexe dès lors que de nombreux coûts composent le prix d’acquisition d’un immeuble (diverses taxes, honoraires, assurances, frais financiers, dépollution, etc.) et devraient être affectés aux terrains ou aux constructions sans qu’il existe de règles très précises sur ce sujet.

En l’absence de textes fiscaux ou comptables proposant une méthode claire,la ventilation procède d’une véritable décision de gestion prise in concreto selon l’actif, sa localisation, sa vétusté, etc. L’Administration ne donne aucune consigne ou précision et va également dans le sens de l’appréciation au cas par cas puisqu’elle précise au BOFiP que « la répartition du prix de revient global entre le sol et l’élévation doit être effectuée d’après les circonstances de fait propres à chaque cas particulier ».

C’est dans ce contexte relativement libéral que sont intervenus deux arrêts du Conseil d’État du 15 février 2016 3 proposant une méthode fiscale de détermination de la valeur des terrains. Cette jurisprudence tant par son caractère inédit que sa portée a provoqué un certain émoi au sein des différentes organisations professionnelles d’experts en évaluation immobilière. C’est donc en réaction à ces arrêts que l’une d’elles, l’AFREXIM (l’Association Française des Sociétés d’Expertise Immobilière) a publié le 15 novembre 2016 une note sur ce sujet, reproduite en annexe au présent article, tâchant de donner sa position sur les méthodes de ventilation les plus pertinentes à retenir, tout en soulignant les limites de l’approche du Conseil d’État. Toutefois, il ne faut pas y voir selon nous une contradiction, mais bien plus un complément méthodologique.

1. Les critiques des méthodes du Conseil d’État et de l’organisation du débat contradictoire


Les arrêts du Conseil d’État ont déjà fait l’objet de commentaires 5 et notre propos n’est pas de les détailler à nouveau. Il faut principalement retenir selon nous que la Haute assemblée a souhaité fixer une véritable méthodologie de ventilation entre le terrain et les constructions et organiser le débat probatoire entre l’administration fiscale et le contribuable. LeConseil d’État retient ainsi troisméthodes qu’il hiérarchise dela façon suivante :

– selon le Conseil d’État, la méthode à privilégier est celle de l’évaluation du terrain nu par comparaison ; l’objectif de cette méthode est d’utiliser des comparables portant sur des terrains nus, destinés à recevoir des immeubles de même nature, situés dans une zone géographique comparable ;
– à défaut,il faut utiliser une seconde méthode qui est celle du coût de remplacement net ;àl’inverse de la méthode précédente,il s’agit ici de déterminer une valeur de reconstruction à neuf des bâtiments existants sur la parcelle, à l’identique ou à l’équivalent ; il convient ensuite d’impacter sur ce coût brut un coefficient tenant compte de la vétusté et de l’état d’entretien, mais aussi de l’obsolescence des constructions évaluées ;
– enfin, de façon subsidiaire et uniquement dans le cas où les méthodes précédentes ne seraient pas utilisables,le Conseil d’État admet que la ventilation puisse être faite sur la base d’une comparaison avec des données comptables issues du bilan d’autres entreprises ayant acquis, à des dates proches, des immeubles comparables en termes de localisation et construction.

Les arrêts du Conseil d’État proposent donc une méthodologie très structurée pour ventiler le prix d’un actif entre le terrain et les constructions. Cependant, les différentes options retenues présentent un caractère imparfait. L’AFREXIM, dans sa note du 15 novembre 2016, revient sur la méthodologie proposée, en la complétant de son expertise très pointue sur ces sujets. Certes, selon elle, la première méthode est certainement la plus fiable et la plus sûre, mais son champ d’application est relativement limité. L’AFREXIM rappelle en ce sens que « l’approche par comparaison est donc très appropriée dans le cadre de lotissements d’habitations ou d’activités où les parcelles mises en vente pour être construire présentent une assez grande homogénéité en termes d’emplacement, de constructibilité, d’aménagement et de sous-sols ». En revanche, pour l’évaluation d’un ensemble immobilier à usage de bureaux ou de commerces en milieu urbain dense, connaissant une vraie pénurie de terrains, cette méthode est quasi inapplicable.

La seconde méthode (coût de remplacement net) trouve sa limite dans la subjectivité de son application. En effet, comment apprécier un coût de construction d’un immeuble ancien ou de biens classés ? Quels éléments affecter au prix de revient des constructions ? Quel degré d’obsolescence retenir ? Cette méthode requiert donc un travail très technique d’évaluation applicable en théorie à l’ensemble des biens immobiliers. Elle soulève toutefois deux difficultés notables :

– elle est soumise à la forte volatilité des valeurs dans le temps (terrain et construction) ; et
– elle pourrait affecter de manière artificielle au terrain tous les éléments du prix de revient de l’immeuble qui ne sont pas des éléments du coût des constructions (autorisation de construire, taxes de constructions, valorisation du bail, honoraires, etc.).

Enfin la dernière méthode, subsidiaire,des ratios comptables n’est pas satisfaisante non plus car sa mise en œuvre serait inégalitaire. L’Administration, avec la multiplication des télédéclarations, aurait une base de comparaison quasi illimitée utilisable à son seul avantage, tandis que le contribuable dispose d’un accès beaucoup plus restreint à des comparables. De plus, cette méthode doit reposer sur un échantillon fiable d’actifs comparables qu’il n’est pas toujours évident de constituer compte tenu des éléments que doit prendre en compte l’Administration.

La critique est fondée. Cela étant dit, il convient de noter que l’apport des arrêts n’est pas de prescrire une méthode rigide d’évaluation. Ainsi, il faut certainement lire ces décisions à la lumière des conclusions du rapporteur public et les analyser tout autant comme un moyen d’organiser le débat contradictoire entre l’administration fiscale et le contribuable. Ces méthodes imposent alors à l’Administration une règle à suivre quant aux moyens d’analyse qu’elle peut apporter. Il nefaut, selon nous, pas y voir une approche figée : il est en effet souligné que le contribuable peut soutenir son analyse avec d’autres méthodes, notamment sur le plan économique. C’est une porte ouverte aux solutions proposées par les experts en évaluation immobilière.

2. Les approches économiques complémentaires en soutien des méthodes du Conseil d’État


- Le domaine de l’investissement immobilier, nous l’avons souligné dans des analyses précédentes 6 , est devenu un secteur d’investissement très professionnalisé. Les concepts habituels propres à la seule gestion patrimoniale sont de plus en plus limités pour appréhender la réalité de leur gestion. En effet, d’une approche purement physique issue de la définition civiliste,l’immeuble est devenu,avec la professionnalisation de sa gestion, une véritable unité économique.

En ce sens, le débat de la ventilation est une des illustrations de ce changement de paradigme. C’est certainement sous cet angle qu’il faut voir la position des experts évaluateurs qui ont, depuis bien longtemps,quitté la seule approche comparative pour les immeubles pour des approches économiques (notamment la méthode des discounted cash flows).

Dans cette approche économique,l’immeuble est le parfaite combinaison entre une réalité physique et un objet économique que lui confère sa location, son exploitation. Dès lors, si terrain et constructions participent à la valorisation du tout, la part du terrain a tendance à diminuer sous l’effet des éléments économiques liés à l’exploitation de l’immeuble. Certains peuvent parler de survaleur, mais ce terme n’a pas de réalité fiscale. L’exercice revient donc plus à déterminer la valeur du terrain que le reste des éléments composant l’unité économique que constitue l’immeuble. À titre d’exemple, un immeuble à usage de bureaux,faisant l’objet d’un bail commercial sur une durée ferme de 9 ou 12 ans, avec un loyer bien négocié par le bailleur, aura une valeur supérieure à un immeuble comparable vacant. Cette situation économique du bien est primordiale dès lors que c’est un des éléments constituant et justifiant le prix d’acquisition d’un actif. Si la méthode par comparaison des terrains nus est appliquée, la composante « survaleur » sera automatiquement affectée aux constructions, sans débat quant à ce sujet. On a vu toutefois que cette méthode est rarement applicable.

En revanche, si la méthode du coût de remplacement est appliquée, elle risque de surpondérer la valeur du terrain en le traitant comme un élément économique qui n’est lié qu’à la valorisation des constructions. La méthode des ratios comptables n’est également pas satisfaisante sur ce point puisque les conditions d’exploitation de l’actif ne font pas partie des éléments de comparaison que doit retenir l’Administration d’après le juge administratif. En effet, la comparaison avec des actifs comparables détenus par d’autres entreprises doit se baser sur la localisation, le type de construction, l’état d’entretien de l’actif et les possibilités éventuelles d’agrandissement. Ainsi,le contribuable ne serait pas maître de l’affectation de la survaleur puisqu’elle dépendrait de celle retenue par d’autres. Afin de bien prendre en compte cette critique, l’AFREXIM propose de recourir à une méthode beaucoup plus pertinente sur le plan économique qui est la méthode du bilan promoteur.

Évoquée dans les conclusions de Frédéric Aladjidi sous les deux arrêts qui nous intéressent,le Conseil d’État ne s’est pas prononcé sur le recours à cette méthode, mais il n’en n’écarte pas selon nous son usage dans la dynamique du débat contradictoire entre l’administration fiscale et le contribuable. En effet, conscient des limites des méthodes retenues, il laisse une échappatoire au contribuable pour qui « il est loisible [...] de justifier l’évaluation qu’il a retenue en se référant à d’autres données que celles qui lui sont opposées par l’Administration ».

Selon l’AFREXIM, cette méthode serait « la plus pertinente en l’absence de comparables pour approcher la valeur du terrain en tant que composant de l’immeuble bâti, notamment en milieu urbain ». En effet, cette méthode est plus proche de la réalité économique de la valorisation de l’actif grâce à l’appréhension d’un élément que les trois méthodes susmentionnées n’effleurent même pas : la marge. Le principe d’une telle méthode est de considérer que la valeur d’inscription du terrain correspond à la valeur de reconstruction à neuf de l’actif d’acquisition, diminuée (i) de l’ensemble des frais et coûts afférents à cette reconstruction (démolition, travaux, taxes, honoraires, frais financiers) et (ii) de la marge qui serait générée en cas de cession. Ainsi,la prise en compte de la marge cristallisera la survaleur,propre à l’exploitation de l’actif immobilier, sur les constructions.

Selon nous, cette méthode est très utile dans le cas d’un immeuble complexe et affecté à une utilisation professionnelle. Elle rejoint parfaitement l’analyse de l’unité économique que constitue l’immeuble. Certes, elle soulève elle aussi quelques questions d’affectation des coûts de construction,mais elle a le mérite de cantonner le terrain à sa valeur sans lui affecter artificiellement des éléments d’exploitation qui sont propres à la valeur économique de l’immeuble.

4 - En définitive, suite à ces deux décisions,il convient dorénavant de procéder méthodologiquement lors de l’acquisition d’un actif afin de ventiler le prix d’acquisition entre le terrain et les constructions selon une méthode multi critères :

–Premièrement, il conviendra de se demander si des comparables de terrains existent ;
– en complément, il convient de procéder à une estimation par la méthode du coût de remplacement net et du bilan promoteur, cette méthode étant objectivement la plus pertinente lorsque l’immeuble est loué ;

En cas de cohérence entre les trois méthodes,la ventilation devrait être facilement justifiable en cas de contrôle. Si les résultats de valorisation sont éloignés les uns des autres,il conviendra de trancher selon les situations de l’immeuble et une tentative de synthèse entre l’approche du Conseil d’État et celle de l’AFREXIM pourrait être la suivante :

– dans une zone de comparables existants :méthode de comparaison des terrains nus, de manière principale ;
– dans une zone de forte densité urbaine pour des immeubles peu sensibles à leurs conditions d’exploitation :méthode du coût de remplacement net ;
– dans une zone de forte densité et sur des actifs banalisés (exploités au titre de baux longs et sensibles à leurs conditions de location) : méthodes économiques, en favorisant celle du bilan promoteur à la suite des recommandations de l’AFREXIM ; à défaut, la méthode des ratios comptables serait utilisable, mais à ce stade, elle ne peut venir qu’à l’initiative de l’Administration, les contribuables n’ayant pas accès à ce type de données confidentielles.

Quelle que soit la solution retenue par la contribuable, on ne soulignera jamais assez l’importance de la documentation justifiant la ventilation retenue et du recours à un expert pour valider la méthode et la valorisation retenues.

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