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Des droits partout ! - Édito par Christophe Jamin

By: Christophe Jamin

« Le libre contact avec les œuvres devient un droit culturel » du fait des « politiques publiques de démocratisation culturelle menées depuis les années 1980 » (R. Guezodje, Ces musées qui voient trop gros : Télérama, 3 déc. 2025, p. 16). Me voici à nouveau confronté à un droit dont j’ignorais l’existence…

Jeune homme, je croyais que la reconnaissance de droits constituait le produit de la seconde guerre mondiale pour des raisons liées au massacre de masses entières de population. Ceux qu’on qualifie de droits humains. Droits fondamentaux déduits d’un principe de dignité de la personne humaine. Droits énoncés avec une relative parcimonie.

C’était néanmoins oublier les années 1970 et l’extension du domaine des droits. Des droits qui furent mis en avant par stratégie politique : face au totalitarisme soviétique, il fallait affirmer nos valeurs occidentales, ce qui passait par la promotion des droits de l’homme. Ce fut en partie le programme des « nouveaux philosophes ». Ce fut aussi le credo d’une fraction de la gauche qui entendait par ce biais réconcilier socialisme et liberté.

Robert Badinter anima ainsi un « comité pour une charte des libertés » dont les travaux furent publiés avec une préface de François Mitterrand (Liberté, libertés : Gallimard, 1976). On pouvait y lire que nous ne partions certes pas de rien, mais qu’il fallait pousser plus loin « pour être demain plus libres, moins asservis, autres ». Arrivé au pouvoir, le préfacier multiplia les initiatives en ce sens. Une ribambelle de droits nouveaux – à l’expression des travailleurs, à l’habitat, à la différence, au transport, etc. – vit le jour sur laquelle de bons esprits se penchèrent pour en louer l’admission, tout en craignant que certains soient menacés d’une « prochaine abrogation pour cause de changement politique et de fièvre néo-libérale » (A. Jeammaud, Consécration de droits nouveaux et droit positif. Sens et objet d’une interrogation : CERCRID, Consécration et usage de droits nouveaux, 1987, p. 11).

Dans des rapports commandés par le préfacier, d’autres affirmèrent que tous ces droits constituaient autant de manifestations de « l’État de droit » (B. Barret-Kriegel, L’État et la démocratie. Rapport à François Mitterrand président de la République, 1985) dont ils avaient remis l’expression à la mode quelques années plus tôt en l’opposant à « l’État despote » (de la même autrice, L’État et les esclaves : Calmann-Lévy, 1979).

Cette inflation de droits exaspéra bien quelques esprits chagrins dont le doyen Carbonnier qui se plaignit d’une « pulvérisation du droit en droits subjectifs » (Droit et passion du droit sous la Ve République : Flammarion, 1996, p. 121). Mais enfin, durant les années 1980, la fièvre néo-libérale ne prit guère et l’inflation des droits a continué à prospérer sous les gouvernements les plus divers durant plusieurs décennies, le droit au libre contact avec les œuvres muséales ne constituant qu’un surgeon du phénomène.

À moins que certains milieux ne s’en prennent demain à cette manière de penser le droit et les politiques publiques en estimant qu’elle est le produit d’une pensée de gauche devenue dominante. C’est d’ailleurs ce que semble masquer l’actuel débat sur l’État de droit : une volonté chez quelques-uns de mettre un sérieux coup d’arrêt aux droits fondamentaux et à leur développement.


Edito à retrouver dans la Semaine Juridique Edition Générale #50


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