L'année 2024 a marqué une période de mutations rapides et de recompositions importantes dans le droit des étrangers et le droit d'asile en France. Entre la réforme du 26 janvier 2024, accompagnée de ses...
(À propos d'un avis de la Cour de cassation du 20 mars 2025, n° 25-70.001) - Construction-Urbanisme, n°5, mai 2025 Repère par Hugues Périnet-Marquet professeur émérite de l'université Paris Panthéon...
Commentaire avec conclusions du rapporteur public par Sébastien De Monès , avocat associé, Bredin Prat et Victor Camatta , avocat, counsel , Bredin Prat . Conventions fiscales internationales Solution...
Produits défectueux - Les avancées de la directive (UE) 2024/2853 du 23 octobre 2024 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux Etude par Laura Vitale , agrégée des facultés de droit...
3 questions à Amélie MORINEAU , Avocate, Présidente de la commission Libertés et Droits de l’Homme du Conseil national des barreaux | Droit pénal n°6 -Juin 2025 La proposition de loi « visant à sortir...
3 questions à Amélie MORINEAU, Avocate, Présidente de la commission Libertés et Droits de l’Homme du Conseil national des barreaux | Droit pénal n°6 -Juin 2025
La proposition de loi « visant à sortir la France du piège du narcotrafic » a été définitivement adoptée, le 29 avril 2025. Ce texte suscite de nombreuses inquiétudes au sein de la profession d'avocat qui juge plusieurs de ses mesures problématiques, quant au respect des libertés fondamentales. Amélie Morineau, avocate et présidente de la commission Libertés et Droits de l'Homme du Conseil national des barreaux (CNB), revient, dans nos colonnes, sur ces enjeux. Elle souligne que la profession a pu déceler une forme de défiance à son égard, tant dans les déclarations faites par certains parlementaires que par le maintien de dispositions attentatoires aux droits de la défense, et s'interroge sur la pertinence de la création de dispositifs nouveaux plutôt que l'allocation de moyens supplémentaires contre le narcotrafic.
Droit pénal : Les avocats ont dénoncé à plusieurs reprises l'introduction d'un dossier coffre qui porterait atteinte aux droits de la défense. Que pensez-vous de cet outil ?
Amélie MORINEAU : La profession conteste l'objectif même du dossier coffre qui implique de faire échapper au contradictoire une part des investigations au motif de préserver des techniques spéciales d’enquête, ce qui est par nature problématique.
L'essence même de l'avocat est d'être présent pour apporter une contradiction et il ne peut pas le faire sur des éléments qu'on ne lui soumet pas. Et même s'il existe un mécanisme de contrôle par un magistrat, celui-ci ne peut exister sans contradictoire.
Surtout, l'instauration de ce dispositif nous donne l'impression que le problème ne réside jamais tant dans les irrégularités qui peuvent être commises, et donc les violations des droits et libertés, que dans le fait qu'un avocat les soulève et mette en échec ou en cause une procédure. Il s'agit d'ailleurs d'un mouvement que l'on connaît dans toutes les matières. Il est difficile aujourd'*** de faire entendre que si une irrégularité affecte la procédure, c'est parce qu'il existe un cadre qui fixe des règles, y compris aux services d'enquête et de justice. La fin ne justifie pas les moyens. En réalité, respecter ce cadre permet de préserver les droits et libertés de tous les justiciables. Aucune garantie ne changerait le principe intrinsèquement attentatoire du dossier coffre, y compris l'intervention éventuelle du bâtonnier qui serait de toute façon difficilement envisageable face au volume très important de procédures représentées.
Même si le dossier coffre a été limité à des cas spécifiques 1, il faut souligner que les exceptions et limites instaurées sont systématiquement étendues. Si cet outil s'applique aujourd'*** au trafic de stupéfiants, il pourrait s'appliquer demain au terrorisme, aux violences sexuelles sur les enfants... Il s'agit d'une tendance que l'on observe, en matière pénale, depuis 30 ans.
Dr. pén. : Plusieurs techniques d'enquête sont prévues par la loi Narcotrafic, comme l'introduction d'un dispositif permettant l'activation à distance d'un appareil électronique fixe et l'extension de la surveillance algorithmique. Cela vous inquiète-t-il autant que le dossier-coffre ?
M. : Nous sommes très inquiets, oui. L'extension de la surveillance algorithmique constitue d'ailleurs un exemple de glissement... Censée être une expérimentation limitée à un certain nombre d’objectifs pour un temps déterminé, qui devait arriver à échéance, elle vient d'être prolongée de 3 années et étendue à la question du trafic de stupéfiants sans le moindre bilan de l’expérimentation ni la moindre étude d'impact. La surveillance algorithmique va s’étendre très largement à toutes les suspicions d’infractions désormais qualifiées de narcotrafic.
Elle constitue pourtant intrinsèquement une atteinte à des droits et libertés normalement encadrés par des garanties. Nous reprochons donc à cette technique une partie de son principe – que l'on peut néanmoins entendre pour la nécessité de certaines investigations – mais surtout, son extension sur une phase d’expérimentation qui n'a donné lieu à aucun bilan, ce qui est difficilement compréhensible... Comment le législateur peut-il ordonner des expérimentations, les étendre en durée ainsi que dans leur objet, sans en tirer aucune expertise ?
Quant à l’introduction du dispositif permettant l’activation à distance d'un appareil électronique fixe, cet outil pose une difficulté d'ordre constitutionnel puisqu'il réintroduit une disposition qui avait fait l’objet d’une censure fin 2023 2. Nous sommes aussi inquiets en tant qu'avocats en ce que ce dispositif va permettre la captation d'un certain nombre de conversations qui, en principe, sont soumises au secret. Même s'il existe des exceptions, en particulier par rapport à la transcription, ces conversations d’avocats vont pouvoir être entendues et conservées.
Pour certaines infractions, la transcription de ces échanges normalement confidentiels va d'ailleurs être autorisée. Nous ne cachons pas une petite lassitude de voir le législateur tenter systématiquement de contourner les censures du Conseil constitutionnel, ce qui n’est quand même plus quelque chose d’original, aujourd’***. Au-delà de la loi Narcotrafic, ce mouvement nous inquiète sur le plan de la démocratie, de la hiérarchie des normes et de la garantie de l’État de droit. Plusieurs dispositions dans le texte interrogent sur le plan de leur constitutionnalité 3.
Dr. pén. : Que pensez-vous de la création d'un nouveau régime carcéral pour les narcotrafiquants et de la nouvelle architecture d'application des peines envisagée ?
M. : Les avocats ont fortement exprimé leur opposition à ce nouveau régime. Dans quasiment tous les établissements, il existe déjà des quartiers dans lesquels les condamnés peuvent être placés à l'isolement. Ce régime ne peut être ordonné que
pour une courte durée, et ne peut être renouvelé qu'à des conditions particulières. Ce que le Gouvernement souhaite introduire, c’est un régime d’isolement beaucoup plus général et les infractions les moins graves en matière de stupéfiants sont comprises dans celles qui permettront l’affectation dans ces nouveaux quartiers. Il pourrait s'agir autant de la détention d'une barrette de cannabis que de l’importation de stupéfiants. Ces nouveaux établissements ont en plus vocation, nous a indiqué le ministre, à rassembler des personnes qui sont condamnées définitivement et d'autres placées en détention provisoire. Si la loi prévoit déjà à des conditions très strictes un régime d’isolement, c’est parce que les conséquences sur les personnes sont importantes. L'isolement signifie ne plus être en promenade collective, ne pas avoir de contacts réguliers avec sa famille...
Avec ce nouveau régime, le maintien des liens familiaux sera encore plus difficilement assuré, puisque seulement trois établissements sont prévus. Les détenus se trouvent isolés non seulement géographiquement et socialement, mais également sur le plan sensitif par des dispositifs de séparations des parloirs. Il est prévu en plus de rétablir un régime de fouilles intégrales et systématiques, qui a pourtant été supprimé par le passé, en raison de l'atteinte à la dignité humaine et de la violation de nos engagements internationaux. Soulignons que l'Italie, dont l'exemple a souvent été cité 4 quant à son système carcéral en matière de narcotrafic, a été condamnée le 10 avril 2025 5 par la
Cour européenne des droits de l’homme pour ces mêmes raisons. Même d'un point de vue criminologique, réunir au même endroit des personnes condamnées pour la même chose questionne...
La nouvelle architecture de l'application des peines, qui se voulait être la transposition des dispositions qui existent en matière de terrorisme, suscite aussi beaucoup d'interrogations.
Le terrorisme est un contentieux extraordinairement spécifique, avec une qualification qui entraîne automatiquement la compétence des juridictions d'exception, ce qui n'est pas le cas du narcotrafic. Si la loi prévoit la spécialisation du juge de l'application des peines et introduit trois niveaux, un juge de droit commun, un juge de l'application des peines JIRS et un juge de l'application des peines chargé du contentieux de la JUNALCO, aujourd'***, personne ne peut savoir à qui seront confiés les dossiers traités par le PNACO, en raison des possibles conflits de compétences. Une circulaire posera certainement des critères mais une profession entière et notamment l’association nationale des juges de l’application des peines exprime ses doutes : le système, tel qu'il est présenté dans le texte actuellement, est impossible à mettre en œuvre. N'oublions pas que la fonction du juge de l'application des peines est l'individualisation de la peine et que sa spécialisation a pour conséquence une renonciation au critère d'attribution du lieu de détention ou du domicile. Des individus libres et condamnés vont être pris en charge par un juge à plusieurs centaines de kilomètres de chez eux, ce qui pose des difficultés quant à la connaissance des acteurs de terrain.
Propos recueillis par Hanna Abitbol et Romain Gauthier
Tous les champs marqués d'un astérisque (*) sont obligatoires