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Avocats de parties civiles au procès des attentats du 13 novembre 2015

Dans le jargon des avocats, c’est le « procès V13 ». 2 380 parties civiles et 327 avocats prennent part au procès des attentats terroristes du 13 novembre 2015 débuté le 8 septembre 2021 et qui doit s’achever fin juin. À ce procès tentaculaire, au gigantisme judiciaire, certains avocats des parties civiles ont répondu par une organisation inédite visant à coordonner leur action et à accompagner au mieux les victimes du Bataclan, du Stade de France et des terrasses des cafés de l’Est parisien.

9 jours d’audience, soit une soixantaine d’heures, pour porter la voix des victimes et retracer cette nuit d’horreur pendant laquelle 132 personnes ont été assassinées et des milliers d’autres blessées.

Les plaidoiries débutées le 23 mai 2022 marquent pour les avocats des parties civiles l’aboutissement de 8 mois d’audience et pour certains de 6 années de travail. Deux semaines de plaidoiries,c’est peu. Et pourtant la France est l’un des rares pays d’Europe où la partie civile est considérée comme une partie au procès pénal qui vise à établir la culpabilité des accusés et à prononcer une sanction à leur encontre.
Le 29 juin prochain, la cour d’assises spéciale présidée par Jean-Louis Périès et composée de 5 juges professionnels et de 4 juges supplémentaires, chargée de juger 20 accusés, doit rendre son verdict.

Des faits au procès, un long chemin a été parcouru. Au lendemain des attentats fin 2015, les avocats qui s’apprêtent à assister les parties civiles le savent : la tâche est immense, les enjeux historiques. Les avocats de la défense alertent leurs confrères des parties civiles : « On ne peut pas avoir 300 procureurs ».

Rapidement, il apparaît qu’aborder seul un tel dossier relève de la gageure. Un noyau dur d’une vingtaine d’avocats, rejoint par plus de 100 confrères, décide de constituer un collectif. De la mutualisation d’outils avant et pendant le procès aux plaidoiries, cette coordination inédite des avocats des parties civiles, par son ampleur, a tenté de répondre aux défis de ce procès fleuve.

Une expérience collective très éloignée de la culture de l’avocat qui marque une étape dans la façon d’appréhender les procès dits de masse et éclaire l’évolution de la place de la victime et celle de l’avocat d’un jour nouveau.

1. Naissance d’un collectif d’avocats

Des histoires particulières et un drame collectif. - « Sera-t-on à la hauteur de cette mission ? Saura-t-on répondre aux attentes des parties civiles ? ». Avec son million de cotes,ce dossier « n’est pas à hauteur d’homme ». « On voit bien l’immensité et la difficulté de la tâche.
Comment va-t-on porter ce défi qui n’est pas humain ? On ne pourra le faire que si on est coordonnés », affirmait Me Frédéric Bibal lors d’une des premières réunions du groupe dont il est l’un des principaux chefs d’orchestre (V. Le travail des avocats : France Culture, épisode 2, sept. 2021).

Dès 2015, aux spécialistes les plus chevronnés, à tous les avocats la même question se pose : comment aborder ce dossier ? « Nous avions à réfléchir par rapport à un événement collectif, en s’attachant à ce qu’ont vécu les gens, c’est-à-dire à la fois quelque chose d’éminemment personnel et d’unique dans cette expérience traumatique des attentats et en même temps, un drame collectif », explique Me Bibal.

Avec l’idée de ne pas reproduire les dysfonctionnements constatés aux procès d’attentats terroristes, Merah en 2017 puis Charlie Hebdo en 2020, où la Cour avait assisté à des querelles d’avocats. « On était passé de la cour à la basse cour », juge sévèrement l’un d’eux, se référant à la campagne de tweets des victimes « meurtrière » pour les avocats.

« En apprenant à se connaître, en mettant en place des outils communs, notre préoccupation a été celle de l’efficacité dont le corollaire est la dignité », analyse Me Frédérique Giffard, très impliquée dans la coordination. La prise en charge des victimes d’attentats terroristes : le volet civil. - Janvier 2016.

Dominique Attias qui débute son mandat de vice-bâtonnière est interpellée par un article de presse sur des « avocats vautours » qui tenteraient d’attirer un maximum de victimes des attentats dans leurs cabinets. Vraie ou fantasmée, la vice-bâtonnière veut couper court à cette rumeur « qui donne une image déplorable de l’avocat », et décide de mettre en place des formations pour les confrères constitués auprès des parties civiles. D’une grande techn cité, les compétences en matière de prise en charge des victimes d’attentats terroristes ne sont en effet pas légion.

C’est le point de départ du groupe formé par les avocats. À partir de janvier 2016, des réunions informelles sont organisées, menées par des spécialistes en réparation des préjudices corporels, qui aboutissent à la rédaction d’un Livre blanc co-signé par 170 avocats sur « Les préjudices subis lors des attentats » (nov. 2016), en particulier les préjudices indirects (d’angoisse des victimes directes, d’attente et d’inquiétude des proches ; V. égal. L’indemnisation des préjudices situationnels d’angoisse des victimes directes et de leurs proches : groupe de travail présidé par S. Porchy-Simon, mars 2016).

Leurs préconisations ont influé sur la décision récente de la Cour de cassation de consacrer, pour les victimes d’actes de terrorisme, l’indemnisation du « préjudice d’angoisse de mort imminente » et du « préjudice d’attente et d’inquiétude », lesquels n’étaient pas inclus dans la nomenclature Dintilhac des préjudices corporels (Cass. ch. mixte, 5 mars 2022, n° 20-15.624 : JurisData n° 2022-004390 : JCP G 2022, 513, note P. Jourdain).

Cette avancée pour le droit des victimes représente une victoire pour les auteurs du Livre Blanc, fruit d’une mise en commun de leur expertise. « Les avocats des victimes avaient une mission : devenir une force cohérente face au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI). Le groupe civil et le groupe pénal échangeaient avec l’idée de faire primer le droit des victimes », se félicite Dominique Attias.
En parallèle des actions en indemnisation devant le Fonds de garantie, une étape-clé dans la prise en charge des victimes d’attentats terroristes, les avocats des parties civiles doivent s’atteler aux aspects pénaux.

Le groupe pénal. - Au départ du groupe pénal, la plupart des participants puisent dans l’expérience acquise au procès de Jawad Bendaoud et de deux autres prévenus dit « Des logeurs » des djihadistes du 13 novembre 2015 qui s’est tenu en janvier 2018 et où s’était déjà posée la question de la coordination de la centaine d’avocats des parties civiles. « Nous avions travaillé par groupes thématiques et proposé une plaidoirie coordonnée avec des axes de défense communs aux victimes qui avaient accepté cette mutualisation. Une vingtaine d’avocats avait plaidé.

Ce travail de partage des informations n’était pas forcément naturel mais a bien fonctionné », décrit Me Helena Christidis, l’une des avocates référentes du groupe pénal, très impliquée dans son organisation, qui défend 25 parties civiles.

Au stade de l’instruction, entre 2016 et mars 2020, les avocats se réunissent lors de réunions mensuelles et parfois bi-mensuelles afin d’étudier le dossier pénal et préparer les réunions de parties civiles. Pour faciliter la transmission du dossier, une seule demande de copie est formulée au greffe et mise à la disposition de chacun, ce qui représente un gain de temps notoire. Même si ça n’est pas totalement « dans les clous », « On a eu le réflexe collectif de s’abstenir pour ne pas freiner l’enquête », souligne Me Giffard.

Les outils de la coordination. - Dès 2016, une mécanique se met progressivement en place : des « process » adaptés au volume du dossier, à sa complexité et au nombred’acteurs.
Avec 327 avocats, « le principe du contradictoire n’aurait pas pu être mis en œuvre si nous n’avions pas instauré des outils pour arriver à communiquer », note Me Bibal. Une vingtaine, puis une quarantaine d’avocats, centralisent les informations et cherchent à fédérer un maximum d’avocats.Ce qui est loin d’être gagné.

La population des avocats qui participe au procès est en effet très hétérogène, allant du gros cabinet très structuré à des avocats exerçant en solo, et le nombre de parties civiles représentées varie d’une seule à plus de 100,sans compter les avocats mandatés par des associations de victimes. « Sur le plan technique, matériel mais aussi psychologique, seul on ne pouvait pas faire grand-chose », insiste Me Giffard. Très vite, l’ancien bâtonnier Cousi prend la mesure des contraintes et investit dans les outils informatiques qui « seuls pourront résoudre une partie des problèmes de coordination ».

Le barreau de Paris met à disposition un cloud sécurisé administré par Me Christidis donnant accès au dossier pénal et « à toutes les informations utiles aux avocats des parties civiles, de la défense ainsi qu’au Parquet et à la Cour. Cette plateforme d’échanges a permis à chaque partie de communiquer des pièces et documents à l’ensemble des intervenants de ce procès ».

Une messagerie Teams, administrée par Me Gérard Chemla, avocat rémois qui représente 140 victimes, regroupe tous les avocats des parties civiles, un outil qui se veut « d’information et de concertation ». Des groupes de travail thématiques. - Sur la méthode de travail à adopter, le groupe avance à petits pas. D’abord envisagée, toute tentative de synthèse de ce dossier volumineux et complexe se révèle impossible. « On n’avait jamais connu en France un dossier de cette ampleur », relève Me Chemla (V. 13 novembre, l’audience est ouverte, un documentaire de Théo Ivanez, France TV, août 2021).

Des avocates comme Me Aude Rimailho, spécialiste en droit des étrangers, et qui traite des dossiers kurdes de terrorisme, met en garde : « Étant donnée la structure particulière d’un dossier de terrorisme, il faut prendre le train en marche dès le début. Les premières années, il faut faire un travail de fourmi ».

L’avocate fait partie d’une minorité ayant acquis une vision globale du dossier, ce qui lui permet de faire le lien entre les groupes de travail thématiques mis en place. Composés de 3 à 6 avocats, ils travaillent sur des sujets transversaux : la préparation des attentats, les appartements conspiratifs en France et en Belgique, les explosifs, la radicalisation, les aspects syriens - et plus ciblés : les victimes, chacun des accusés vivants, dont un groupe dédié à Salah Abdeslam, les terroristes morts.

« Pour que ça ait un sens, il fallait que chacun trouve sa place dans ce procès », soutient Me Giffard (Le travail des avocats : France Culture, épisode 2, sept. 2021). Dans les deux années qui précèdent le procès, le rythme des réunions s’accélère pour se tenir tous les 15 jours.

Les avocats participant au groupe mettent en commun leurs analyses juridiques, formulent des demandes d’actes, envisagent des plaidoiries coordonnées et désignent des avocats-référents pour communiquer avec les magistrats. Par ces méthodes, pour certaines novatrices, ils cherchent à insuffler une dynamique commune dans la perspective des débats. Et si des groupes « dissidents » se forment, à la veille de l’audience, les deux tiers des avocats, représentant la majorité des victimes, font partie du groupe pénal.
Une situation inédite pour des professionnels indépendants par nature et qui doivent abandonner au collectif une part de liberté.

2. La coordination des avocats pendant le procès

Les débats. - Depuis le début du procès, chaque jour à 12h30, les avocats des parties civiles ou leur collaborateur, présentent leur badge pour accéder à la salle d’audience de 750 mètres carrés spécialement édifiée dans l’ancien Palais de Justice sur l’Ile de la Cité.

Pendant les débats, ils cherchent à éviter d’apparaître en ordre dispersé et à privilégier une prise de parole mutualisée, en fonction des thématiques travaillées par groupes.
L’objectif est d’éviter « un tunnel de questions pas toujours pertinentes », un « défilé ininterrompu à la barre », et des répétitions qui rendent la parole « inaudible ».

L’enjeu premier est de « ne pas desservir la place de la victime, de montrer qu’être partie civile dans un procès pénal a du sens », témoigne Me Aude Rimailho. Sur le rôle à tenir, des voix dissonantes s’expriment parfois, « inévitables dans une expérience de groupe ». Faut-il par exemple parler de l’infraction et de ses éléments constitutifs ? Certains y sont favorables, d’autres estiment que c’est l’apanage du Parquet, « Le droit positif l’autorise car la victime est censée corroborer l’action publique, sauf qu’il y a une tendance lourde à ne pas en parler », précise Me Bibal.

Mais dans l’ensemble le scénario imaginé est mis en œuvre et les débats de bonne tenue. Entre les mois de septembre et de mai chaque jour sur Teams, la liste des avocats experts de « la question du jour » est établie. « Il y a eu une certaine cohérence dans les questions. Les avocats maîtrisaient leurs sujets, allaient sur des points précis ». Fait rare, les avocats se sont également mis d’accord sur le choix des témoins pour parvenir à une liste commune, une négociation compliquée aux enjeux stratégiques.

Autre dispositif inédit mis en place par le président Périès pour tenter de fluidifier les débats : l’inversion du temps de parole du Parquet et des parties civiles. « Cette décision expérimentale ne faisait pas l’unanimité. Mais ça a plutôt bien fonctionné.
En faisant intervenir le Parquet en premier, le nombre de questions des parties civiles s’est trouvé limité », analyse Me Bibal.

Sans ce travail collectif qui n’est pas dans l’ADN de l’avocat, « je ne sais pas ce que ça aurait donné », tranche l’un d’eux. « La Cour a manifestement adhéré à ce système et a privilégié les échanges avec le groupe de contact issu de la coordination qui a aussi démontré que les avocats des victimes tiennent un rôle utile et pas seulement en miroir de leurs égos », témoigne Me Chemla.

Résultat : un gain de temps non négligeable pour la Cour. La juge Isabelle Prévost-Desprez, qui présidait l’audience au procès des Logeurs, confirme. Lors de ce procès, la répartition de la parole pour interroger les prévenus s’est avérée « une aide dans le déroulement de l’audience. C’était à la fois plus convaincant, plus efficace pour suivre le cheminement intellectuel des avocats ».

La magistrate estime aussi que cette approche concourt à la sérénité des débats et facilite l’organisation difficile des procès de masse.
En ce sens, elle encourage les avocats « à intégrer dans leur pratique la dimension collective, un peu comme en matière d’action de groupe ».

Des plaidoiries coordonnées. - 23 mai 2022. À l’approche des plaidoiries, la pression monte. « Les 5 semaines d’audition des parties civiles [au début du procès] ont été la plus belle plaidoirie que l’on pouvait imaginer. Nous étions tous bouleversés. On ne pourra pas mieux faire », relèvent les avocats.

Pour des raisons matérielles évidentes, et bien que la loi permette à chacun de s’exprimer individuellement, les 327 avocats ne prendront pas la parole, sauf à aboutir « potentiellement à plus de 2 000 plaidoiries, avec un effet de saturation rapide de la Cour » explique Me Giffard.

Il faut éviter la vague submersive sous laquelle serait dissout « chaque destin individuel », mais les victimes ne doivent pas apparaître non plus comme une « masse informe » regroupée sous une bannière commune. D’où un important travail de pédagogie effectué auprès des parties civiles dont la plupart entraient pour la première fois dans un tribunal.

Cette idée de plaidoiries coordonnées est en effet difficile à envisager. On touche au cœur de la mission de l’avocat et pour certains, aux limites du travail collectif.

« Le travail d’un avocat c’est de plaider », estime Me Rimailho pourtant convaincue par le collectif.Certaines victimes veulent que leur avocat expose leur situation individuelle, d’autres non. « Nous devions parvenir à ce que la représentation individuelle continue d’exister en même temps que la dimension collective.

Que chacun se sente représenté. C’est toute l’alchimie qui était recherchée », affirme Me Bibal. Dans une vision privilégiant « un chœur et quelques solos ». Cette orchestration sans fausse note s’avère compliquée à trouver.

Tous ne sont pas convaincus par l’objet des plaidoiries, certains se désolidarisent préférant plaider seuls ou pas du tout. Le schéma suivant est finalement retenu : des plaidoiries coordonnées les premiers jours et des plaidoiries individuelles d’environ 70 avocats ensuite. Et chaque jour, - le temps des plaidoiries dites coordonnées - un temps dédié aux victimes décédées.

Environ 90 avocats, représentant les deux tiers des parties civiles, participent à la préparation des plaidoiries coordonnées et s’accordent sur des thématiques développées chaque jour à la barre par une quinzaine d’entre eux : Les victimes face aux accusés / Les lieux des attentats l’instant d’avantd’après (Le Stade de France, Le Carillon, Le Petit Cambodge, La Bonne bière et La Casa Nostra, La Belle Equipe, Le Comptoir Voltaire, Le Bataclan) / Les victimes face à la blessure (deuil, stress post-traumatique, résilience, culpabilité des survivants) / Les victimes face à leur destin / Les différentes formes de solidarité / Les forces de sécurité / Un procès pourquoi faire ?

Sur la méthode, plutôt qu’un « enchaînement de plaidoiries, la répartition de la parole est intéressante. Au procès des Logeurs, cette mutualisation a été une réussite », souligne la juge Prévost-Deprez, « pour les avocats, c’est un renoncement à leur office. Mais cela va dans le sens de la défense des intérêts des parties civiles. C’est une adaptation intelligente aux procès de masse ». Sur le fond, cette « mosaïque de plaidoirie chorale » est saluée quoique perçue comme « inégale ».

Certains avocats s’illustrent davantage que d’autres, certains thèmes sont plus pertinents. Comme le veut l’époque, d’inévitables critiques s’expriment sur les réseaux sociaux. Le registre serait « trop complaisant » par exemple (A. Dénouveaux, rescapé, président de l’association Life for Paris, Twitter, 24 mai 2022).

Ces ressentis, de même que le déroulement des plaidoiries coordonnées, mériteront d’être examinés a posteriori par les avocats participants dont l’objectif très difficile à tenir était que « toutes les victimes se reconnaissent ». Si, d’ores et déjà, ils admettent que ce travail a été compliqué à mettre en place « avec des avocats et des victimes sceptiques », ils se disent « plutôt satisfaits d’avoir proposé cette forme inédite » et appellent , sur cette base, à une réflexion pour d’autres procès de masse à venir.

3. Une logistique inédite : le coût pour les cabinets

Lors de ce procès historique, la mission des avocats, en particulier ceux représentant un nombre important de parties civiles, est allée au-delà de leur office traditionnel.

Un noyau dur d’avocats s’est investi dans la préparation logistique du procès, notamment au moment de la construction de la salle d’audience qui a suscité son lot de questions : accès, attribution des sièges, des badges, sens de circulation, distributeurs de boissons, etc. « C’est un travail très inhabituel et très chronophage », témoigne Me Christidis. Un autre sujet a donné lieu à des négociations longues et difficiles avec le ministère de la Justice : l’aide juridictionnelle.

La rémunération des avocats. - Le sujet de la rémunération des avocats des partie civiles comme de ceux de la défense s’est en effet vite posé non sans polémique.

Dans un procès d’une telle ampleur, la question économique n’est pas neutre. « Je ne l’ai pas fait pour l’argent et je l’aurais fait sans », a-t-on pu entendre. Reste qu’il n’était pas questionnon plus de laisser couler son cabinet. Comment évaluer alors la juste rémunération d’un avocat ?

Pour ce procès, exceptionnellement, tous les avocats sont intervenus au titre de l’aide juridictionnelle (AJ) intégralement prise en charge par l’État.

Plusieurs difficultés ont vite émergé tenant en particulier à la distorsion entre les avocats des parties civiles et ceux de la défense et à l’inadaptation du système de décompte à la demi-journée d’audience.

« Ces problématiques n’étaient pas inconnues mais ne s’étaient jamais posées dans de telles proportions, tous les curseurs étaient poussés à l’extrême », souligne Guillaume Martine, membre du Conseil de l’Ordre, chargé de la liaison avec le bureau de l’aide juridictionnelle.

Traditionnellement pour les procès d’assises, l’avocat en défense perçoit 56 UV (unité de valeur = 34 € en 2021, 36 € en 2022) à l’ouverture du procès et l’avocat des parties civiles, 36 UV. Chaque demi-journée déclenche ensuite un nombre d’UV équivalent à 500 €, soit 1 000 € par jour d’audience.

Mais alors qu’un avocat peut représenter plusieurs parties civiles et donc cumuler l’AJ, à l’inverse, plusieurs avocats interviennent généralement en défense d’un accusé et se partagent à ce titre l’AJ.

Du côté des parties civiles, il y a toutefois une dégressivité des montants perçus : pour la première partie, 100 % de l’AJ, pour la 2e , 80 %, puis 60 %, et enfin 40 % pour toutes les autres. Voilà pour les règles de base.

Appliquée au procès des attentats du 13 novembre, cette mécanique créait un important déséquilibre au détriment des avocats de la défense. Les avocats ont alerté la Chancellerie pour qu’un dispositif dérogatoire au décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 permette à tous les avocats de la défense de bénéficier d’une AJ intégrale, ce qu’a refusé le ministère par crainte de « favoriser les avocats des terroristes » ; et qu’il soit décompté 2 demi-journées pour chaque journée d’audience (l’audience débute à 12h30, soit une demi-journée d’AJ).

Pour la Chancellerie, les sommes en jeu sont considérables. Mais « C’est bien le législateur qui avait décidé d’octroyer l’AJ de droit aux victimes, difficile ensuite de couper le robinet », fait valoir Guillaume Martine.

À procès exceptionnel, dispositifs exceptionnels. - En juillet 2021, devant les réticences de la Chancellerie, le barreau de Paris prend une décision inédite : modifier l’annexe IX de son règlement intérieur dans le but de prélever aux avocats parisiens représentant plus de 2 parties civiles (soit environ la moitié des 144 avocats parisiens constitués), 10 % de la somme perçue au titre de l’AJ Cette enveloppe redistribuée à chacun des avocats en défense doit leur permettre de percevoir 2 demi-journées d’AJ par journée d’audience, soit 1 000 € par jour. Le dispositif de « rééquilibrage » est plutôt bien reçu (Au procès des attentats du 13 novembre, les avocats solidaires : Le Figaro, 6 sept. 2021). Parallèlement, la Chancellerie concède aux avocats des parties civiles, dans un courrier du 10 août 2021, de majorer d’une demijournée d’AJ supplémentaire toutes les 2 demi-journées d’audiences.

À titre exceptionnel également, l’État « conscient des sujétions particulières imposées aux avocats du fait de l’ampleur de ce procès », décide de verser les fonds au fur et à mesure, et les CARPA de rétribuer les avocats chaque mois. Le versement est conditionné aux jours de présence à l’audience, multipliés par le nombre de parties civiles représentées.

In fine, les sommes perçues seront extrêmement variables, avec pour les plus assidus représentant un nombre important de parties civiles, des montants flirtant avec le million d’euros.

Les avocats y voient une « compensation rétrospective » du travail fourni notamment au cours de l’information judiciaire pendant laquelle la somme forfaitaire allouée est symbolique, du poids financier mais aussi humain de ce dossier. D’autres jugent ces sommes « importantes », voire « indécentes ». « Intervenir au titre de l’AJ relève en général plutôt de l’engagement. Nous ne pouvons que nous féliciter de cette rémunération. Les avocats sont récompensés de leur investissement colossal et de leur travail de coordination », justifie pour sa part Guillaume Martine.

Il faut aussi mettre en face de ces sommes le coût pour le cabinet : charges, recrutement de collaborateurs supplémentaires, renoncement, pour certains, à une partie de leur activité. Tout dépend il est vrai du degré d’implication.

Un avant et un après. - Avec des réussites, des obstacles, des moments de doutes, des dissidents, cette coordination pratiquée à une échelle jamais éprouvée a montré que les avocats, même les « stars », même ceux réputés les plus égotiques, pouvaient tenter de jouer collectif et laisser leurs inimitiés de côté.

Il y a eu « moins de débordements que ce que l’on aurait pu craindre vu l’ampleur du procès », témoigne Me Bibal. « Même si c’est d’un millimètre, nous avons fait bouger nos pratiques professionnelles : cette dynamique s’est sentie à l’audience ».

Même analyse pour Me Chemla : « Un meurtre de masse, c’est un empilement de malheurs individuels avec au total quelque chose de très collectif. Or, si les avocats ne travaillent pas de façon collective, ça perd tout son sens ».

Dans ces temps forts judiciaires, l’institution doit se montrer à la hauteur. Rarement, pour ne pas dire jamais, des moyens technologiques et humains aussi puissants n’avaient été mis en place pour organiser un procès pénal. À l’instar de la web radio qui a permis aux parties civiles de suivre les débats. « Il faudra tirer les bonnes pratiques pour réfléchir au droit des victimes encore à l’âge de pierre en France », affirme l’ancienne vice-bâtonnière Dominique Attias et questionner « la perception qu’a notre société de la victime et le rôle de l’avocat des parties civiles ».

Des réflexions d’autant plus justifiées que dans ce procès, si 475 victimes ont été entendues, le plus grand nombre d’entre elles pourtant constituées parties civiles était absente et n’a pas souhaité y participer.

Alors que s’ouvriront bientôt d’autres procès de masse, tel celui des attentats de la Promenade des Anglais à Nice, au moment où la Cour de cassation a admis l’élargissement de la qualité de partie civile à des personnes « ayant tenté de s’interposer ou ayant fui après avoir compris qu’un attentat avait lieu » (Cass. crim., 15 févr. 2022, n° 21-80.264 : JurisData n° 2022-001999, 2022-001997, 2022-001998 : JCP G 2022, 560, note R. Parizot), le collectif du « Procès V13 » s’est employé à montrer que l’avocat des parties civiles comme la victime avaient leur place dans le procès pénal. Un rôle, objet de débats, qui à défaut d’approche coordonnée aurait été très réduit.

De cette aventure juridique, humaine et émotionnelle hors du commun, à la mesure des attaques terroristes les plus meurtrières que la France ait connu, ils tireront des enseignements essentiels. Il y aura un avant et un après.

Les dates clés

- 13 novembre 2015 : attentats du Stade de France, du Bataclan et des terrasses de l’Est parisien
- Fin 2015 : premières constitutions de parties civiles
- Janvier 2016 : début des actions devant le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI)
- Novembre 2016 : Libre Blanc sur « Les préjudices subis lors des attentats » co signé par 170 avocats
- 16 mars 2020 : ordonnance de mise en accusation
- 13 juillet 2020 : arrêt de mise en accusation
- 8 septembre 2021 : début du procès
- 28 septembre au 29 octobre 2021 : audition des parties civiles
- 23 mai au 4 juin 2022 : plaidoiries des avocats des parties civiles
- 8 au 10 juin 2022 : réquisitions du ministère public
- 13 au 24 juin 2022 : plaidoiries en défense
- 29 juin 2022 : date prévisionnelle du verdict

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