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Intermédiation financières des pensions alimentaires

Trois questions à Fadela Houari

La loi n° 2021-1754 du 23 décembre 2021 de financement de la sécurité sociale pour 2022 a généralisé le recours à l’intermédiation financière dans le versement des pensions alimentaires (IFPA), dont les conditions de mise en œuvre ont été précisées par le décret n° 2022-259 du 25 février 2022 et la circulaire n° JUSC2206763C du 28 février 2022.

Appliqué depuis le 1er mars 2022 à l’exécution des décisions judiciaires de divorce déjà rendues, le texte a vocation à être étendu, dès le 1er janvier 2023, à celle des autres décisions judiciaires, des conventions homologuées par le juge, des actes authentiques, des actes contresignés par un avocat ou des conventions ayant reçu force exécutoire de l’ODPF.

Maître Fadela Houari, avocate au barreau de Paris, membre de l’Institut du droit de la famille et du patrimoine (IDFP), alerte sur les dangers de cette intermédiation généralisée.

Qu’est-ce que l’intermédiation financière des pensions alimentaires ?

L’intermédiation financière consiste pour le parent débiteur d’une pension alimentaire à en verser mensuellement le montant à l’organisme débiteur des prestations familiales (la CAF) qui se charge de le reverser au parent créancier.

Ce dispositif, prévu en cas d’impayé ou sur demande du créancier, est généralisé à l’ensemble des situations dans lesquelles une pension alimentaire est judiciairement fixée et concernera, dès 2023, les divorces extra-judiciaires. Ce dispositif est réputé prévenir les retards de paiement et les impayés en incitant au versement régulier et à bonne échéance de la pension alimentaire pour pacifier les relations parentales.

La réforme a fait passer un système, dit « d’opt-in » (IFPA sur décision du juge ou choix des parties), à un système, dit « d’opt-out » (IFPA systématique, sauf décision du juge ou choix contraire des parties). Le dispositif réserve deux dérogations à l’automaticité de l’intermédiation : les parents peuvent s’accorder pour refuser l’intermédiation, sauf en cas de violences conjugales ou familiales ; à titre exceptionnel, le juge peut, même d’office, écarter l’intermédiation financière s’il estime, par décision spécialement motivée, que la situation de l’une des parties (le débiteur n’habite pas en France, par ex.) est irrégulière ou que les modalités d’exécution de la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant (CEEE) sont incompatibles avec sa mise en place.

En outre, et en dépit du refus des parents, l’IFPA sera déployée lorsque, dans le cadre de l’instance conduisant à la décision de fixation ou de modification de la CEEE, l’une des parties aura produit une plainte déposée contre le parent débiteur pour des faits de menaces ou de violences sur le parent créancier ou l’enfant ; en cas de condamnation pénale prononcée à l’encontre du débiteur pour les mêmes faits ; en présence d’une décision de justice concernant le parent débiteur et mentionnant de telles menaces ou violences dans ses motifs ou son dispositif.
Le délit d’abandon de famille a été amendé afin de tenir compte de ce dispositif nouveau (C. pén., art. 227-3 et 227-4).

Quels sont les écueils d’une généralisation pour les différentsacteurs ?

Alors que la majorité des pensions alimentaires sont réglées, les débiteurs se voient retirer une prérogative relevant de l’exercice de l’autorité parentale, l’intermédiation généralisée ayant vocation à se substituer aux parents payeurs.

Or, cette autorité appartient aux seuls pères et mères et constitue une fonction dont la finalité est l’intérêt supérieur de l’enfant (CIDE, art. 5). En outre, le dispositif met à la charge des greffiers et des magistrats, déjà débordés, des obligations chronophages, purement administratives.

Le juge doit rappeler aux parties de produire les éléments nécessaires à la mise en œuvre de l’intermédiation financière, si ceux-ci ne sont pas mentionnés dans l’acte de saisine, notamment le numéro de téléphone et le courriel de chaque parent et l’information selon laquelle l’un ou l’autre d’entre eux relève du régime agricole de sécurité sociale, ce qui pose question au regard du traitement des données personnelles. Dans les 7 jours de la décision, le greffe doit transmettre certaines informations à l’ODPF, puis notifier aux parties, par LRAR, la décision judiciaire ou la convention homologuée lorsque celle-ci fixe une CEEE sans exclure l’IFPA (sur accord des parents ou décision du juge).

Dans un délai de 6 semaines courant à compter de la notification de la décision aux parties, le greffe transmet à l’ODPF : un extrait exécutoire de la décision (en cas de rétablissement de l’IFPA, il s’agit uniquement de l’extrait exécutoire de la décision l’ayant ordonné, le greffe n’ayant pas à transmettre à l’ODPF l’extrait exécutoire de la décision ayant antérieurement fixé la CEEE concernée, dont la copie sera sollicitée par l’ODPF auprès des parents) ou une copie exécutoire de la convention homologuée ; un avis d’avoir à procéder par voie de signification, lorsque l’avis de réception de la lettre de notification aux parties n’a pas été signé dans les conditions prévues à l’article 670 du CPC.

La faculté pour l’ODPF de faire signifier la décision se cumule avec celle des parties, ce qui impose l’envoi de deux avis distincts (ou trois s’il est envoyé aux deux parties). Mais pour éviter une double signification, l’ODPF invite les parties, lorsqu’il engage l’IFPA, à l’informer de ce qu’elles ont fait signifier la décision (CSS, art. R. 582-5). Le dispositif crée donc un système à deux vitesses : les décisions comportant des demandes de CEEE, signifiées par le greffe, et les autres décisions rendues par la JAF, non signifiées par le greffe, ce qui est contraire à l’égalité des justiciables devant la loi.

Enfin, lorsque la représentation des parties par avocat est obligatoire, le greffe remet une copie simple de la décision aux avocats constitués, avant de la notifier aux parties. Cette formalité remplace la notification préalable obligatoire de la décision entre avocats. Toutefois, aucun délai n’est fixé ni aucune sanction. Le risque de ne pas se voir adresser concomitamment l’information et donc de ne pas permettre aux débiteurs d’exercer leur voie de recours est grand. Les avocats vont perdre la maîtrise des significations et devront compter sur la diligence des greffiers. Or, dans les fait, les délais vont augmenter...

Lors des États généraux du droit de la famille et du patrimoine, le président Gavaudan invitait la profession à repenser l’existant, par la constitution d’« un fonds de garantie ». Quelle est la position de l’IDFP ?

Parce que la notification par le greffe d’une décision de justice et l’absence de maîtrise des significations sont contraires aux intérêts des justiciables, l’IDFP invite les avocats à conclure systématiquement, lorsque la situation le permet, pour s’opposer à l’intermédiation en expliquant les dangers de sa généralisation.

Bien que l’intermédiation ne constitue pas une prétention et qu’il ne sera pas statué sur l’opposition de principe, cette opposition hautement symbolique pourrait être remontée par les magistrats. Par ailleurs, l’extension croissante des prérogatives de la CAF interpelle, tout comme l’accélération du processus de déjudiciarisation et de fixation, à terme, des pensions par ces caisses. La présence des avocats est essentielle pour les créanciers vulnérables et les débiteurs dont les situations ne peuvent être simplement barémisées.

Propos recueillis par Alice Philippot, rédactrice en chef de la revue Droit de la famille

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