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Etude de Laurent Gamet, professeur à l’université Paris-Est, doyen de la Faculté de droit, directeur du Laboratoire de droit privé, avocat associé du cabinet Factorhy Avocats
Le recrutement algorithmique est utilisé. Trois questions nodales méritent l’intérêt le concernant, à savoir les exigences de transparence et de finalité, le droit à l’intervention humaine en cas de décision entièrement automatisée et le spectre de la discrimination en dépit du traitement apparemment objectif de l’algorithme.
1 - Les sociétés contemporaines connaissent une révolution numérique qui transforme en profondeur les structures économiques et sociales du siècle précédent. Le recours à l’algorithme, outil cardinal de cette révolution, n’est pas propre à ces dernières années mais la singularité de l’époque tient à son usage intensif grâce à l’accessibilité des données – « l’or du XXIe siècle » – et aux capacités modernes de traitement de ces données par des machines apprenantes (« deep learning »). Le monde du travail est pleinement concerné par cette révolution. L’usage des outils numériques s’est notamment considérablement développé en matière de recrutement sous la même double influence de l’accès à des quantités considérables de données, communiquées directement ou indirectement (notamment sur les réseaux sociaux) par le candidat à un emploi ou déduites de l’examen du candidat, et de la puissance des techniques modernes de traitement de cesinformations. La connaissance des pratiques donne à voir les divers usages faits de l’algorithme à cette phase liminaire de la relation d’emploi. Outil de « sourcing », l’algorithme est utilisé pour analyser de vastes bases de données afin d’identifier des profils de candidats correspondant aux critères spécifiques d’un poste. Outil de suivi des candidatures, des logiciels aident à trier, analyser et classer en fonction de critères prédéfinis. Outil d’évaluation des compétences, les algorithmes permettent, à la vitesse de l’éclair, d’évaluer les compétences techniques et comportementales des candidats en utilisant des tests, des jeux ou des simulations pour mesurer leurs aptitudes et leurs capacités, par écrit ou interfaces (notamment vidéos) autonomes interposées. Également, les chatbots de recrutement interagissent avec les candidats pour répondre à leurs questions, collecter des informations sur leurs compétences et leur expérience, les orienter tout au long du processus de candidature. L’analyse prédictive algorithmique aide aussi au « matching » candidat-poste, c’est-à-dire à la prédiction de la compatibilité entre candidats et postes vacants pour recommander les meilleures correspondances. Qui veut comme Thomas voir pour croire, peut se reporter à des démonstrations en ligne et notamment à celle de l’application HireVue utilisée par des grandes entreprises. Les candidats répondent à une série de questions dans une vidéo qu’ils capturent eux-mêmes, vidéo exploitée par l’outil algorithmique qui analyse 25 000 traits caractéristiques des candidats pour les évaluer sur la base de facteurs tels que le contact visuel, l’enthousiasme, le sourire, les expressions faciales et corporelles, les vêtements et les nuances de la voix. On peut être sceptiques sur la fiabilité d’une telle technologie – nous y reviendrons – mais il est certain qu’elle existe et qu’elle est utilisée.
2 – À l’évidence, l’algorithme présente ici des éléments positifs. Les candidats peuvent se sentir mieux accompagnés lors du processus de recrutement en interagissant avec des applications toujours disponibles ; dans la novlangue, l’on parle d’une « expérience candidat » améliorée. Peut-être aussi – encore que ce sera discuté – le recours à l’algorithme peut-il réduire les biais humains dans le processus de recrutement en procédant à une analyse objective de leur savoir (être et faire). Le rapprochement des compétences des candidats avec les emplois disponibles pourrait aussi les orienter vers des emplois mieux adaptés que ceux pour lesquels ils montrent leur intérêt. Pour les services des ressources humaines, également, le recours à l’algorithme présente des avantages, en premier lieu l’automatisation de tâches chronophages à peu de valeur (humaine) ajoutée, telles la sélection initiale des candidatures, la planification des entretiens et le suivi des candidatures, permettant de se concentrer sur des tâches plus stratégiques. Le recours à de puissants outils pour traiter de volumineuses informations minimise le risque d’erreur et rend non seulement plus efficace, mais aussi tout bonnement possible, le traitement d’informations autrement au-delà des forces humaines. Sans compter que l’objectif d’une meilleure adéquation entre les candidats et les postes à pourvoir peut conduire à des embauches de meilleure qualité et à une réduction du taux de rotation du personnel.
3 - Le recrutement algorithmique est saisi à double titre par le droit. Le droit des données personnelles, en premier lieu, fixe un certain nombre de règles qui ont ici vocation à jouer. L’on relèvera en surplomb que le risque d’une confiance excessive accordée à la technologie a été très tôt identifié :la commission Tricot, dont le rapport a constitué la base de la loi de 1978 sur la protection des données à caractère personnel, le pointait déjà quand elle traitait les défis soulevés par l’informatisation de l’État et de la société française, de même qu’elle insistait sur les enjeux liés à la capacité de collecter et de stocker de grandes quantités de données. La loi Informatique et Libertés de 1978 n’a-t-elle pas dit l’essentiel dans son article 1er : « l’informatique (...) ne doit porter atteinte ni à l’identité humaine, ni aux droits de l’homme, ni à la vie privée, ni aux libertés individuelles ou publiques » ? Les questions juridiques pourraient avoir moins évolué que les techniques et c’est dans le détail que se logerait aujourd’*** un débat épuisé sur l’essentiel depuis presque 50 ans. Le droit du travail, en second lieu, consacre des développements au recrutement, qui ont bien entendu vocation à s’appliquer au recrutement algorithmique. Là encore, les solutions trouvées au siècle passé, ancrées à des concepts standards – justification, proportionnalité, transparence –, pourraient permettre d’affronter les mêmes enjeux contemporains – notamment le risque d’une atteinte aux droits des personnes et aux libertés – qui paraissent ne pas avoir été autant bouleversés que les techniques. Le rapport du professeur Gérard Lyon-Caen, rédigé à l’orée des années 1990 à la demande du gouvernement et qui a guidé l’écriture des dispositions du Code du travail (toujours en vigueur) sur le recrutement (V. infra), est d’une étonnante modernité quand il est question de protéger les droits et libertés des candidats à l’emploi des dérives tenant aux techniques placées entre les mains des entreprises qui leur offrent des moyens puissants de connaissance, de pouvoir et de contrôle. Le droit du travail s’est d’ailleurs souvent construit en confrontation avec la technique.
4 - À bien y regarder, trois questions nodales méritent l’intérêt concernant le recrutement algorithmique, à savoir les exigences de transparence et de finalité, le droit à l’intervention humaine en cas de décision entièrement automatisée et le spectre de la discrimination en dépit du traitement apparemment objectif de l’algorithme.
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